Quel drôle de livre ! Hermétique d’abord, il faut apprendre à consommer cette œuvre. Voici quelques conseils sur la manière de savourer ce corps lesbien :
1/ le déguster par morceau : quand c’est bon, pas besoin de se presser. On le goûte par fragment, voire même interrompu par un autre met !
2/ le consommer à voix haute : c’est en l’énonçant qu’on peut réellement goûter à la poésie de ce corps lesbien.
Monique Wittig réinvente le désir, le corps, l’amour dans ce recueil de poèmes en prose. Cette démarche passe par les concepts et un travail textuel surprenant.
La démarche radicale de l’autrice est au premier abord avant tout plastique : il manque des virgules, le je, le moi, le me sont tous scindés d’un / lacérant. Des encarts placardés interrompent le texte pour énumérer les sécrétions corporelles féminines. Le texte est façonné, comme détruit et reconstruit selon un nouveau barycentre, femmes sans hommes.
Ce texte n’existe pas, ou n’aurait pas dû être. Il existe dans une réalité fictive, dans la continuité d’un monde lesbien qui n’a pas eu lieu. Le monde fonctionne différemment dans le monde lesbien de ce corps lesbien. Le désir est violent et il existe libre, étrange hors des normes du désir, la vulve est comme l’oreille, les seins comme la rotule, le poumon comme l’anus.
Il y a de la violence dans ces pages, c’est une violence parfois joyeuse, un déchirement amoureux et lesbien, bien loin du fantasme de douceur qu’ont les hétérosexuels sur la sexualité lesbienne. Je continue de penser que le gore, la violence et les chaires déchirées sont par nature l’acabit des femmes (règles, grossesses, accouchements, déchirements en tout genre).
Tout est mis au même niveau de désirabilité et par boucles obsédantes, elle énumère les couleurs, les sécrétions, les os et les organes.
En conclusion, ce recueil de poème est à picorer avec modération pour éviter une indigestion vite venue si vous n’avez pas l’estomac lesbien accroché.
(Et non, les lesbiennes ne s’arrachent pas les rotules quand elles couchent ensemble)