Les deux premiers volumes de La Recherche m'avaient ébloui, tant par la richesse de leurs réflexions (sur la société, la mémoire, notre perception du monde, l'art, le langage, les classes sociales, les sens et les sentiments, l'amour...) que par ce fameux style proustien reconnaissable entre mille.
Ce style, il est bien entendu présent dans ce troisième volume, et c'est ce qui en fait la beauté. Ces phrases longues, ces enchaînements de propositions, ces avalanches de virgules permettent à l'auteur de développer tour à tour un côté poétique, contemplatif et rêveur ou, au contraire, d'aller au fond des choses, de fouiller les personnages et les choses à la recherche de la cause première de telle ou telle réaction, de se dégager des apparences pour atteindre l'être lui-même. Ce style unique transforme la lecture du livre en une expérience extraordinaire, certes pas toujours facile (oui, il y a des passages qu'il faut relire plusieurs fois, oui c'est plus lent à lire que les romans "traditionnels" et ça demande plus de concentration) mais d'une qualité rare ; rien ne vaut ces errances du verbe, ces déambulations dans le labyrinthe des pensées et des souvenirs. Nous sommes vraiment face à un immense poème, un peu comme Les Mémoires de Chateaubriand.
Par contre, j'ai été nettement plus déçu par le thème central du livre. Le Côté de Guermantes raconte essentiellement la vie mondaine du narrateur et se déroule, en majeure partie, dans les salons aristocratiques. S'inspirant fortement de ses lectures (on retrouve facilement ici Sévigné, Saint-Simon et même Balzac), Proust nous nous décrit tous les petits rituels du Beau Monde, les invitations, les protocoles, les petites phrases assassines, les fausses politesses, les évitements, les cartes de visites cornées, etc., le tout sur l'essentiel des plus de pages de ce qui constitue, si je ne me trompe pas, le volume le plus épais de La Recherche. Or, à petite dose, cela aurait pu passer, surtout avec le regard acéré et la plume faussement douce de l'écrivain. Mais sur un tel nombre de pages, cela devient vite ennuyeux et même répétitif. Ce volume pèche par manque d'ambition, dirais-je.
Alors, bien entendu, il y a des pages magnifiques, mais c'est très souvent lorsque Proust sort du thème principal. Le séjour du narrateur à Doncières avec Saint-Loup, ou cette improbable et formidable engueulade qu'il reçoit de la part de Charlus à la fin du livre, constituent des pages où le pouvoir de fascination de l'auteur retrouve toute sa force.
D'ailleurs, Charlus est un des points forts du roman. Ce personnage ambigu, inattendu, hautain et méprisant, sûr de sa supériorité sociale, jamais là où on l'attend, est une surprise de chaque instant. En général, d'ailleurs, ce sont les personnages qui sont les centres d'intérêt principaux du Côté de Guermantes. Et en cela on peut distinguer deux catégories : ceux que Proust décrit en quelques lignes, trouvant tout de suite le trait qui va les caractériser (comme le duc de Guermantes, par exemple, à la fois sévère avec son épouse dans le privé et son premier défenseur en public) et ceux qui vont être montrés dans toute leur complexité, ces personnages tellement profonds que l'on ne peut jamais savoir à quoi s'attendre avec eux. J'avoue, au milieu de tout cela, ma préférence pour Françoise, son franc-parler, sa mauvaise foi, son utilisation très personnelle de la langue française, etc.
En bref, un volume en demi-teinte, que j'ai moins savouré que les précédents (au moment où j'écris ces lignes j'en suis à peu près à la moitié du volume suivant, qui me paraît bien supérieur également), mais qui contient quand même de grands moments.