La vie en se retirant venait d'emporter les désillusions de la vie.

Long. Voilà le mot qui caractérise le mieux ce troisième tome. 8 mois pour le finir, c'est pour dire (il est vrai que lire 4 livres à côté n'aide pas). Il se concentre sur les aventures mondaines de notre narrateur adoré, qui est enfin introduit au prestigieux salon des Guermantes. Oui, la duchesse est fascinante, oui le duc est ridicule et un peu goujat sur les bords, oui nous sommes nous aussi émerveillés par le faste de cette famille. Mais dieu que c’est long. Sur presque 700 pages, il y a bien 400 pages de descriptions interminables sur la généalogie des Guermantes, sur les différentes personnes présentes dans leur salon et sur les traits de caractères des invités.

Marcel, ne t’en fais pas, je t’aime toujours. Évidemment, l’écriture reste magnifique. Ce n’est pas comme si Proust pouvait écrire comme un pied. La première partie du roman est absolument fabuleuse, quand sont décrits la lente agonie de la grand mère du narrateur, le baiser partagé avec Albertine, la déception de Saint Loup quant à Rachel. C’est comme toujours d’une sensibilité incroyable, décrit avec finesse, si bien qu’on se dit souvent en lisant « c’est exactement ça ! j’ai moi aussi déjà éprouvé cela ! je n’aurais jamais su l’exprimer aussi bien » - réflexion qu’on se fait très souvent avec l’ami Marcel. Par exemple, il nous dit que l’on se préoccupe bien peu de notre corps, qu’on n’y pense pas, jusqu’à ce qu’on soit en proie à la maladie, et là, le corps entame notre pensée et rend notre vie impossible. Évidemment, il le dit mille fois mieux que moi et parvient à nous émouvoir en quelques lignes bien senties. La description de la grand mère sur son lit de mort est merveilleuse, pas glauque pour un sou mais infiniment poétique. Elle y est assimilée à une « jeune fille ». Comme toujours, j’adore l’audace des analogies proustiennes. La scène de l’opéra, où la salle est comparée à un vaste fond marin où chaque spectateur est un poisson est également magistrale. Proust met souvent en relation deux univers qui paraissent totalement opposés, qu’on associerait jamais dans la vie réelle, mais il le fait avec tant de brio qu’on ne peut s’empêcher de se dire « tiens, j’aurais dû y penser moi même ! ».

Comme dans les deux tomes précédents, c’est très drôle. D’ailleurs, le Côté de Guermantes a provoqué chez moi quelques rires honteux, surtout dans le métro, à 7H30 sur la ligne 6 - beaucoup m'ont dévisagée. Les personnages des salons sont souvent ridicules, comme cette Mme je-ne-sais-plus-comment qui fustige un écrivain, le trouve atrocement mauvais, déverse toute sa méchanceté sur des vers qu'elle juge plus que médiocres. On apprend ensuite qu’il s’agit de Victor Hugo. Les mots d’esprit d’Oriane sont également savoureux. Néanmoins, ce que j'aime chez Proust, c'est qu'il ne se moque jamais totalement de ses personnages. On sent qu'il les aime beaucoup, qu'il a de l'affection pour eux, même pour les plus grotesques.

Mais, l’humour a ses limites. Les petites blagues aristocratiques, au bout de 150 pages, finissent par lasser, voire même par énerver. La description des salons et des discussions totalement idiotes lors du dîner chez les Guermantes n’en finissent pas. De même qu’un récit de guerre par Saint Loup qui est complètement incompréhensible et qui occupe bien 5 pages. 700 pages pour montrer l'étrange mélange de fascination et de déception du narrateur à l’égard des Guermantes, c’était peut être un peu trop.

J’aime quand Proust s’intéresse à l’intime, aux liens profonds entre les personnages, à tout ce qui se cache derrière les apparences. Là, cela devient intéressant. Les salons, les aristocrates, les généalogies ne me font ni chaud ni froid. Mais dès que l’on comprend que Basin trompe allègrement sa femme et qu’il affirme qu’il ne verra jamais une photographie offerte par Swann si celle ci est placée dans la chambre d’Oriane, le vernis des Guermantes se craquèle et là, c’est fascinant. Quand on se penche sur la personnalité de la duchesse, derrière son titre, on est également fasciné par cette femme à la fois très spirituelle et en même temps très cruelle. Elle demande à son mari d'aller chercher ses chaussures rouges, au risque d'être en retard à un dîner mais ne donne même pas 5 minutes de son temps à Charles Swann alors que celui-ci n'a plus que quelques mois à vivre. Elle sait pertinemment que son domestique ne peut voir sa fiancée qu'un seul jour dans la semaine, mais elle le retient tout de même précisément ce jour là alors qu'elle n'a pas besoin de lui. A part ça, elle ne cesse d'être décrite comme "délicieuse" ou "charmante".

Le statut du narrateur est aussi extrêmement intéressant. Il est alternativement omniprésent et absent. Quand il s’efface pour décrire les salons, il y a de quoi piquer du nez. Mais dès que nous lecteurs avons accès à ses sentiments face à la violence des propos de Charlus dans la fin du roman, on ne peut pas s’empêcher d’avoir de l’empathie pour lui, voire la pitié, dans une scène dramatique qui fait froid dans le dos. Les tirades de Palamède sont ahurissantes de violence, il faudrait lire ce tome rien que pour cela. Impossible de ne pas s'identifier au narrateur.

Allez, espérons que Sodome et Gomorrhe soit plus palpitant. Il y a des chances.
Clairette02
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le 5 nov. 2012

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Clairette02

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