Les hommes représentent 96,5% de la population carcérale. Le chiffre a de quoi frapper, ainsi que la kyrielle d'autres qui se rapportent aux actes de violence. Cette effarante disproportion, pourtant, n'interroge généralement pas : on considère simplement que c'est un fait bien connu, une donnée de notre société. On analyse la délinquance suivant l'origine sociale, le niveau d'études, le milieu culturel, jamais selon ce critère pourtant premier, le genre.

Lucile Peytavin a décidé de prendre le taureau par les cornes de la virilité. L'oeuvre est salutaire. Patiemment l'autrice décline toutes les vilénies squattées par les hommes : guerres, accidents de la route, trafics en tous genres, viols, agressions, incivilités... Impossible d'ignorer qu'il y a là un vrai sujet. Certaines remarques sont intéressantes, par exemple le fait que les hommes coûtent à la Sécu parce qu'ils sont moins enclins au préventif : un homme, ça doit être fort, donc on ne s'admet pas comme susceptible d'être malade. Je me suis un peu reconnu là-dedans. Mais cette attitude a aussi ses vertus : lorsqu'on est convaincu qu'on ne tombera pas malade, on l'est effectivement moins. La méthode Coué.

Tout cela est fort instructif. Seulement voilà, l'éternelle question de l'inné et de l'acquis ne tarde pas à être posée, c'est là qu'est l'os. En bonne féministe de sa génération - j'ai pu vérifier son âge sur Google -, Lucile Peytavin a sa conviction, qu'elle prend pour une vérité : tout est culturel. Une partie de son livre s'emploie donc à tordre le cou à cette idée à présent jugée réac', celle qui prétend que les différences de comportement entre hommes et femmes tiennent aussi de la biologie.

Pour l'autrice, la question a été tranchée par la science. Consciencieusement, elle balaie les différents arguments des tenants de l'acquis : la testostérone ne suscite pas les comportements agressifs, elle est un effet de ces comportements ; pas de différence entre les cerveaux masculin et féminin ; l'instinct maternel est une construction du patriarcat ; etc. Même la différence de taille entre hommes et femmes serait "culturelle" !

Les démonstrations sont pour le moins fragiles. Souvent, Lucile Peytavin cite un exemple contraire pour détruire les idées communément admises, présentées invariablement comme des mythes. Exemple, dans le monde animal, les mâles ne sont pas portés à la domination puisque chez les bonobos ce sont les femelles qui commandent ! Et hop, sujet suivant. On a sans cesse envie d'objecter : "heu, minute, c'est un peu court non ?".

Ainsi, lorsqu'il est question des violences sexuelles. Pour notre essayiste, à l'encontre de ce qu'affirment tous les sexologues, pas de différence entre sexualité masculine et féminine, en tout cas, pas de besoins supérieurs chez les hommes. Même si les rapports non désirés concernent de manière écrasante les femmes. Rien de biologique là-dedans. Admirez la démonstration :

Page 80 :

De fait, certains hommes "normalement constitués" ont peu d'envies sexuelles, et certaines femmes beaucoup plus. Il a d'ailleurs été prouvé, s'il fallait, que les hommes pouvaient manquer de désir. Il n'existe donc pas de déterminisme concernant la sexualité selon le sexe des individus.

Puisque certains hommes ont peu d'envies et certaines femmes beaucoup, c'est bien la preuve qu'il n'y a pas de différence entre les hommes et les femmes ! Imparable.

Un peu plus loin :

Une enquête menée auprès de 114 violeurs condamnés révèle que 89% d'entre eux déclarent avoir eu des rapports sexuels consentis au moins deux fois par semaine avant leur incarcération. Le viol n'est donc pas le fruit de "pulsions incontrôlables", mais bien la conséquence d'une décision rationnelle reposant sur un rapport bénéfices/risques calculé et souvent prémédité, comme l'explique la biologiste Noémie Renard.

Diable ! "Une décision rationnelle reposant sur un rapport bénéfices/risques calculé" ? Aucune pulsion irrépressible s'agissant de viol ?!... Et l'argument pour aboutir à cette conclusion, c'est que les violeurs avaient eu un rapport sexuel avant d'être incarcérés ? Voilà un raisonnement d'une rigueur intellectuelle inattaquable...

Mon prof de statistiques avait coutume de dire : "Règle n° 1, méfiance ! les chiffres sont des innocents auxquels, sous l'effet de la torture, on peut faire dire n'importe quoi". Une saillie qui me revient à l'esprit chaque fois qu'on m'oppose le fameux : "les chiffres le prouvent"...

Page 81, on verse dans le politiquement correct :

A cela s'ajoute une relative clémence de la part de notre société envers ces délits et crimes sexuels. Une enquête a révélé que 42% des Français estiment que si la victime a eu une attitude provocante en public, cela atténue la responsabilité du violeur, et 18% d'entre eux jugent que lors d'un rapport sexuel, les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées.

Oui, et alors ? Si j'étais juré d'assise, il me semble que je considèrerais qu'en effet, si le violeur a été "allumé" par une fille cela atténue sa responsabilité. Atténue seulement, pas supprime, mais si vous dites ça on va vous accuser de défendre les violeurs je suppose ? Et oui, je pense que certaines femmes peuvent prendre plaisir à être forcées, je n'en veux pour preuve que celles qui optent pour le sado-maso. De là à considérer qu'on peut forcer une femme car elle va sûrement y prendre du plaisir, il y a un fossé, qui probablement n'existe pas aux yeux de la bienpensante Lucile Peytavin.

Le problème, c'est que la jeune femme tient plus à convaincre qu'à ouvrir la réflexion. Sa conviction est faite : tout ira bien le jour où l'on éduquera les garçons comme les filles. Conviction que je partage en grande partie : en effet, arrêtons d'offrir des armes comme jouets aux garçons, de leur mettre dans les pattes des jeux vidéos violents, cessons de les inciter à dominer autrui, à réprimer leurs émotions et tout accès de douceur, etc. J'adhère à 80% de ce que dit le livre... mais les 20% restant me gênent beaucoup.

Jamais il n'est question de ce que peut avoir de positif la fameuse virilité à laquelle on incite nos garçons. L'agressivité, ce n'est pas que caca, la compétition non plus : ce sont aussi des moteurs, qui ont probablement permis à l'être humain de réaliser de grandes choses. En situation de détresse (guerre, attentat, catastrophe naturelle...), on se félicite sans doute qu'aient été encouragés chez certains êtres humains la force, le courage et le dépassement de soi...

Rendons toutefois cette justice à l'autrice : elle cite un chiffre qui va à l'encontre de sa démonstration. Page 153 :

Une prise de conscience a eu lieu dans les années 1990 dans les pays du Nord. La Suède, la Norvège, la Finlande et le Danemark ont mis en place dans les établissements scolaires une éducation neutre qui ne cultive pas de différence entre les sexes - les encadrants transmettant les mêmes valeurs et références à tous les enfants pour ne pas les enfermer dans des stéréotypes. Cette démarche est louable mais n'a pas permis de porter ses fruits concernant les violences. En effet, (...) les taux de violences faites aux femmes y sont dramatiquement élevés. Par exemple, la proportion de femmes ayant été victimes de violences sexuelles est de 17% en Finlande contre 12% en France ou en Allemagne ; au Danemark, en Finlande ou en Suède, 30% d'entre elles ont été victimes de violences ou d'abus de la part de partenaires sexuels, contre 22% en moyenne au sein de l'Union Européenne.

Ah zut, si l'on éduque les garçons et les filles de la même façon (et l'on a quand même 30 ans de recul sur l'expérience), si l'on promeut donc, l'idéologie de la non-différenciation, aucun impact sur les violences masculines. Y aurait-il donc aussi des raisons biologiques ? Que nenni ! Ce qu'il faut, c'est simplement amplifier la démarche, avance Lucile Peytavin, enfermée dans ses convictions.

Rien non plus sur le fait que les femmes sont à ce point sensibles à cette si toxique virilité. Cf. le succès des hommes musclés, et même, souvent, de ceux qui se conduisent en gros machos. Sans doute un problème d'éducation des filles ?

Précision. Je ne prétends nullement que tout soit biologique. J'aimerais simplement qu'on fasse preuve d'un peu plus d'humilité sur cette question de l'inné et de l'acquis, qu'on ne la considère pas comme réglée, alors que c'est loin d'être le cas. Et, plutôt que de mettre à la poubelle la virilité, soyons plus subtils : rééquilibrons les choses puisque, indéniablement, l'éducation des garçons est bien trop portée sur cette notion. La juste mesure, en somme.

Terminons par l'un de mes sujets favoris, l'écologie. L'occasion d'une autre énormité, page 157 :

D'autres études indiquent clairement que notre rapport à l'écologie est déterminé par un mécanisme physiologique du cerveau façonné par notre éducation. Il s'agit du striatum, une structure nerveuse qui nous procure du plaisir chaque fois que nous acquérons un bien socialement valorisé : un smartphone dernier modèle, une voiture puissante, une montre de luxe, etc. Or l'imagerie cérébrale a montré que, dans le cerveau des petites filles, ce mécanisme est associé au fait de donner. L'éducation dispensée aux garçons les conditionne donc davantage à acquérir des biens et à adopter un mode de vie polluants pour la planète.

Il faut juste faire abstraction de l'industrie du textile, deuxième plus polluante au monde, où les achats sont très largement dominés par les femmes. Qui fait du "lèche-vitrine" ou du "shopping" le samedi dans les artères commerçantes, majoritairement ?... Et il suffit de se pencher sur votre voisine dans le métro pour zyeuter ce qu'elle regarde sur son portable : le plus souvent des vidéos de nanas qui vantent un maquillage ou une fringue, autant de biens "socialement valorisés". Une fois de plus, on est à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, car l'autrice cite surtout des biens prisés par les hommes : voiture puissante, montre de luxe... Pour les smartphones, je pense que femmes et hommes sont à égalité, non ?

Le livre s'achève par un chiffrage laborieux du "coût de la virilité" (plein de biais semble-t-il, relevés par une plume de SC), histoire d'aboutir à un très gros chiffre. Dans un monde sans guerre, plus besoin de militaires. Sans délinquants, plus besoin de police ni de justice. Sans détraqués, plus besoin de psychiatres. Le monde de oui-oui coûterait beaucoup moins cher. Merci à Lucile Peytavin de nous l'avoir rappelé.

Jduvi
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le 10 sept. 2023

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