Un espèce de livre assez banal qui enchaine les platitudes sur notre époque qui fait toute la place à l'émotion immédiate au détriment de la contemplation et de la douceur. C'est seulement à la toute fin que l'auteur donne une clé d'analyse qui mérite de sortir des pages de l'ouvrage.
Il distingue en effet deux notions dont est dépourvu l'usage moderne, disons occidental des émotions : d'une part la disponibilité, et d'autre part l'admiration.
La disponibilité, c'est le constat classique et désormais éprouvé par tout parent un tant soit peu compromis dans ses contradictions éducatives, que les écrans et les sollicitations qui se multiplient dans une société de l'abondance de l'offre réduisent la disponibilité de l'esprit humain. Nous sommes moins disponibles à la contemplation, à l'émerveillement mais également à la concentration et à la réflexion.
La deuxième notion que nous perdons et dont le constat est plus saillant en France est celle de la disparition de l'admiration. Peut-être suis-je naïf, peut-être est-ce encore une idée libérale sous-marine destinée à promouvoir la compétition entre les Hommes sur lequel repose le marché. Je n'en crois néanmoins rien. L'auteur attribue l'atomisation des relations interpersonnelles à une perte de la capacité d'admirer ses semblables. Dans une société obsédée par l'égalité, l'admiration comme reconnaissance d'une supériorité du talent des uns par rapport au reste est insupportable. Et je parle bien de supériorité dans un domaine précis, pas de Pareto-supériorité d'une personne sur une autre ! Dès l'école, et je me souviens l'avoir vécu, l'attitude normale et normative envers l'élève plus performant n'est pas l'admiration ou le respect mais bien la moquerie et l'incrédulité. Je crois que c'est pire aux Etats-Unis si l'on en croit cependant le miroir que nous tendent leurs produits culturels. Mais ce refus de l'admiration ruisselle dans toute la société : tout le monde l'expérimente dans son milieu professionnel. Attention, on ne parle ici nullement de l'idolatrie collective pour des figures désignées par divers prescripteurs comme admirables, les personnalités préférées des Français par exemple. Non, il s'agit de l'admiration pour ses pairs un peu plus doués que soi et dont l'admiration pousse au dépassement.
Cette admiration, elle ne concerne pas seulement les autres mais la nature. Qu'on y voie l'oeuvre du créateur comme François ou la perfection du cosmos comme les confucianistes, la contemplation se nourrit de notre capacité à admirer des objets sur lequel nous avons du pouvoir.
N'est-ce pas étonnant de constater qu'alors que le projet protestant de légitimer la convoitise par la morale du progrès (pour le dire vite), l'admiration, qui a tout pour en être le cheval de Troie parfait, est pourtant jeté honteusement à la corbeille ? J'ai bien une idée sur la question mais Lacroix n'en parle pas, et je ne voudrais pas insister par surenchère sur la maigreur de son ouvrage.