La vie sourit à Harry White, jeune, il a un boulot qui lui plait où son avenir est tout tracé, une entreprise pas trop grosse pour qu'il ne se retrouve noyé dans les anonymes et assez grande pour lui permettre une possibilité brillante de carrière. Il est adoré de ses parents dont il est l'enfant unique et n'a aucune honte à vivre avec eux à vingt-cinq ans passés. Sportif et de bonne compagnie, il a tout du gendre parfait. Mais Harry a un passe-temps pour les plus particuliers, la chasse. Mais ce n'est pas les animaux qui l'intéressent, ce sont les femmes, et exclusivement les femmes mariées. Il prend un malin plaisir à les séduire, faisant souvent preuve d'une patience à toute épreuve, plus la femme le fait attendre, plus son désir s'enflamme pour elle. Quand elle a succombé à ses charmes, il adore l'adrénaline qui s'empare de lui sachant qu'il peut se faire prendre à tout moment par le mari. Une fois la relation consommée, il disparaît dans la nature, ce n'est rien de plus qu'un jeu pour le jeune homme. Il est même persuadé de sauver des couples en pimentant la vie sexuelle de mères de familles déprimées. Cependant, Harry n'est pas aussi maître de la situation qu'il aime à le penser, ses pulsions deviennent obsédantes, l'empêchant de vaquer correctement à ses occupations. Il commence à prendre sur sa pause repas du midi pour suivre des femmes et arrive régulièrement en retard, ce qui ne passe pas inaperçu aux yeux de ses supérieurs hiérarchiques. Ses désirs gangrènent aussi sa famille, un week end il est tellement pris par la débauche qu'il découche et oublie complètement l'anniversaire de sa grand-mère, qui compte pourtant beaucoup pour lui. Ce Don Juan a de plus en plus de mal à gérer sa vie, il essaye d'organiser ses aventures dans un emploi du temps régulier, tout les vendredis, mais sa soif de femmes est insatiable. Il finit par être mis au pied du mur par son patron qui lui enjoint de stabiliser sa vie, et sous-entend même qu'il devrait se marier et fonder une famille si il veut réussir son ascension sociale. Pour le secouer, il confie le poste de vice-président en second à un de ses collègues, loin d'être aussi brillant, mais beaucoup plus régulier dans le travail, car il a une femme et des enfants à charge.Harry réussira-t-il à combattre ses démons et à se ranger?
Le démon est un des plus grands romans qui m'ait été donné de lire, contrairement aux autres romans de Selby, où j'ai trouvé les scènes de violence un peu gratuites, la provocation de Last exit to Brooklyn ne m'avait pas convaincue. Ici le sexe n'est pas utilisé dans cette optique, c'est un mal qui ronge le personnage, d'ailleurs ce n'est pas l'acte qu'il recherche, bien qu'il y prenne son plaisir, mais tout ce qui l'entoure, le rituel de séduction, les risques d'être surpris pendant l'adultère. Harry est un drogué à l'adrénaline, et il a toujours besoin de plus. Malgré sa morale déviante, on s'attache au personnage, on souhaite qu'il aille mieux. On est touché par les scènes familiales où le bonheur et l'amour sont palpables, qui tranchent avec l'angoisse et la déperdition de l'âme du protagoniste. La tension de ce livre est extrêmement bien amenée, elle croît au long des pages, jusqu'à la chute finale, j'ai du mal à le lâcher à chaque fois que je l'ai dans les mains. On est pris par une espèce de fascination malsaine, on se sent proche de ce héros d'apparence si parfait qui est pourtant incapable de contrôler sa vie. Les démons qui accablent Harry ne sont pas cornus avec une fourche, il doit se battre contre lui-même, il a une morale, il différencie le bien et le mal, mais il est attiré par le mal, irrémédiablement. Selby a un style très particulier, il n'utilise aucune marque pour indiquer les dialogues dans son texte, il faut un petit temps d'adaptation, mais on s'y fait très bien, ça ajoute à la tension du livre, qui du coup n'est pas aéré par la forme habituelle des conversations. Le démon est une véritable tragédie moderne, orchestrée d'une main de maître par l'auteur du roman dont a été tiré le film Requiem for a Dream.