Je l'attendais, la fin de Guerilla. Elle est venue, j'ai lu, et j'ai pas été déçu.


Obertone c'est un journaliste qui sait écrire son histoire, il faut le dire. Même si on sent que son histoire tient plus dans des sous-trames sur laquelle il brode avec l'actualité récente. Encore une fois, on suit nos personnages secondaires, mais cette fois-ci sans s'attarder sur la création de nouveaux. Tout au plus un alcoolique et quelques mondains. Et Buvard, comme un buvard ( désolé, moi je sais ce que c'est, mon école nous faisait écrire à la plume uniquement ), un agent de la DGSI qui part en chasse de Vincent.


Le titre me laissait penser que j'allais assister à la dernière charge des sans-grades, de la zone périphérique venue reconquérir son pays laissé à la "très-bien-pensance" et des maigres forces du capitaine Danjou, légionnaire de son état et pas effarouché pour deux sous par les "très-bien-pensants". Une bonne description de combat urbain, le balayage à l'arme de guerre des derniers soldats du califat qui se retranchent à Saint-Denis, complètement apeurés. Mais non.


Le dernier combat, en fait, il se fait dans le nouveau centre du gouvernement géré par Escard, le Maître Menteur en chef, manipulant la "très-bien-pensance" citoyenne dans sa quête du pouvoir absolu, agitant l'extrême-droite comme un épouvantail grossier et sans véritable forme autre que celle de Vincent Gite, celui qui se décrit comme "une bête", celle du Gévaudan pour ne rien cacher.


En fait le titres est assez "méta" : le dernier combat, c'est surtout le sursaut d'Obertone de faire croire que la France est condamnée à ressembler à son récit, et que ce dernier opus doit servir d'évènement déclencheur, d'outil de prise de conscience.


Et bah bordel, j'avoue que la France qu'il dépeint est à pisser de rire.


La police est abolie, et toute la France est en liesse : la balle d'un flic a démarré la guerre, les flics sont racistes, sont méchants, pas beaux, je suis sûr que quelque part ils ont lancé toutes les épidémies de choléra dans le monde entier à eux seuls. A la place est soustraite "La Vigilance", un regroupement de "citoyens engagés", héros/héraults de la justice sociale, donc avant tout constitués de petits blancs "privilégiés" déconstruits, avec force LGBT et "racisés" dans leurs rangs, véritable milice d'oppression publique.


Déjà, on sent que l'homme Obertone connait ses classiques académiques, parce qu'il réussit à transposer les items de l'échelle F ( selon Adorno ) sur ces jeunes gens :

- Le conventionnalisme : tous sont très préoccupés par ce que font les gens en dehors de la "très-bien-pensance" et s'acharnent à faire respecter les consignes sanitaires et les QR-Code

- La soumission autoritaire : tous sont soumis au "nouveau régime" d'Escard, qui a un label "information neutre et indépendante" officiel sur ses chaînes télé

- L'agression autoritaire : on parle de ratonnades, de descentes chez l'habitant, d'intimidations, de confiscations, etc

- L'anti-intraception : Un émétteur pirate diffuse des blagues un peu vaseuses, des réinterprétations de chansons, et tout devient la catastrophe et une manoeuvre d'extrême-droite : rien ne doit dévier, sinon c'est LE MAL

- Superstition et stéréotypie : Les Vigilants sont persuadés que le Blanc est la source du mal mondial. Ils inventent donc un signe distinctif, la main tendue paume vers le bas en disant "moi" ( pour signifier qu'ils sont petits, tout petits, ridicules ), et certains même vont se crever l'oeil droit pour "ne pas se compromettre". Okay ?

- Puissance et endurance : Alors ça décrit de l'obèse et du rachitique, donc niveau force physique, on la troquera pour la force du collectif et de l'état

- Destructivité et cynisme : Tout ce qui est blanc est suspect, les blancsq doivent être grand-remplacés, les cis écartés, bref

- Projectivité : Besoin d'en rajouter ?

- Sexe : Ah, Cédric et Alice étant deux blancs, leur enfant fatalement sera blanc, et se font interroger sur "pourquoi pas de sexe avec des racisés ? pourquoi pas de sexe homosexuel ?"


C'est habile il faut le dire. Après si on passait à l'étude des items du fascime selon Eco, là fatalement on perdrait tout le monde, parce qu'il n'y aurait pas matière d'en faire de purs produits du fascisme qu'on veut coller aux "très-bien-pensants".


Et il faut dire, ça fait mouche. On est prit dans le récit et on ne peut que détester ces gens qui perdent tout contact avec le réel, sont obsédés par les autres, et semblent ne jamais vouloir laisser vivre les gens en paix. Etonnant de prendre ceux qui sont aujourd'hui vraiment pris pour cible et se font vraiment casser la gueule parce qu'ils sont LGBT, mais bon, peut-être Obertone est-il un véritable gardien de la paix sociale et ne souhaite qu'aux LGBT de vivre leur meilleure vie sans qu'une horde vienne les emmerder et leur demander de se justifier pour... ce qui... est ?


Obertone multiplie également les références classiques. Le contrôle de l'information, la ré-écriture du passé pour contrôler présent et avenir, jusqu'à la télévision obligée d'être allumée en permanence. En fait, la référence à 1984 est ici TROP classique. La redondance avec cette oeuvre et lui faire dire tout et son contraire a tendance à me faire lever les yeux au ciel, et ça n'a pas manqué ici. Toujours et encore 1984. S'il vous plaît, trouvez mieux, les "Big Brother" par çi et par là, c'est d'un lourd...


J'ai aussi senti un sel 100% français dans l'évocation de "QR-Code", de "port du masque", de "mesures sanitaires". Si bien même que ça sortait complètement du récit... Les QR-Code ( status des personnes pour valider les sorties hors couvre-feu ) dont sont, bien sûr, dispensés les racisés et autres minorités, sont balancés comme ça, et sans vraiment de justification. Le port du masque est demandé et sévèrement réprimandé en cas de manquement à la règle par la Vigilance - sauf à être racisé - et les mesures sanitaires s'installent. Mais à aucun moment ce n'est vraiment rattaché au récit. A aucun moment un discours verbeux parsemé de métaphores lourdes qui tombent comme un cheveu sur la soupe ne vient expliquer pourquoi ces mesures sont mises en place. Le gars Obertone a mal vécu les confinements et le passe sanitaire et voulait juste ironiser dessus en les mettant dans un contexte déplacé. Mais en fait, ça ne suffit pas : le grotesque français avec la vigilance est construit patiemment depuis deux bouquins, là le QR-Code tombe en une page. A quel moment peut-on y croire ? Je sentais que même Obertone n'y croyait pas. Demain une guerre civile éclate, ce n'est pas un QR-Code qui sera mis en place, c'est la loi martiale, faut arrêter les conneries.


Je pourrais aussi m'étendre sur le Califat de Seine-Saint-Denis, son calife mort, tué par Sadia, la femme brûlée à l'acide pour avoir osé dire qu'elle ne voulait plus être violée : imaginez-vous vraiment un monde où l'on va les interroger pour les entendre dire qu'ils sont "choqués" par la violence des forces armées venues vous botter le cul ?


J'ai dû manquer les entretiens des soldats de Daech où ils se disaient "choqués" par les raids de la Coalition et des régimes syriens et irakiens. J'aurais envoyé des vivres aussitôt parce qu'aucun canal d'information n'aurait documenté les charniers et les exécutions de ces derniers.


Bref : on y croit, on y croit.


Obertone sait bien qu'il dépeint une France grotesque qui n'existera jamais comme ça. J'ai mangé sa trilogie au deuxième degré, et j'ai pris mon pied. Et c'est bien tout ce qu'on demande d'une fiction après tout.

Grammar-Stalin
8
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le 24 oct. 2022

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