Lucy, j'ai comme qui dirait égaré ton fils...
Ce roman de la saga Elvis Cole n'est pas le plus original qu'ait écrit Robert Crais, et toute la première partie essentiellement consacrée au rapt du fils de sa compagne est pénalisé par quelques longueurs (par exemple ce passage imbuvable où le petit garçon a des hallucinations vidéoludiques dans son cercueil). Cependant, ce polar mérite tout de même le détour pour ses personnages secondaires. Si le taciturne Joe Pike se fait assez discret pendant plusieurs centaines de pages, il se montre plus vulnérable qu'à l'habitude, et chose incroyable, il se fait dominer par des types plus forts que lui… ainsi que par un ours ! L'ancienne démineuse Carol Starkey (que l'on avait découverte trois ans plus tôt dans "Un ange sans pitié") tient quant à elle un rôle non négligeable dans l'enquête. Sevrée de ses doses d'alcool quotidiennes mais toujours aussi accro aux cigarettes, cette inspectrice bourrée d'énergie va filer un sacré coup de main au pauvre Elvis Cole qui, une fois n'est pas coutume, se retrouve entièrement dépassé par les évènements.
Pour retrouver le jeune Ben, le "meilleur détective du monde" va ainsi passer plus de 50 heures sans dormir, et cette absence de sommeil va finir par peser sur ses facultés de jugement et de concentration. Lui qui est d'habitude sarcastique et plein d'autodérision, il est ici complètement éteint et stressé par cette situation dont il se sent personnellement responsable. Perdre un gosse dont on avait la garde, forcément, ça vous casse un peu le moral… John Chen, qui avait rencontré Pike et Cole dans "L.A. Requiem", incarne par conséquent à lui tout seul la caution "humour" de ce polar. Pour vous faire une idée, Chen est le quasi-clone de Vince Masuka dans la série Dexter : aussi pervers et frustré que son homologue télévisuel, le criminaliste de la Scientific Investigations Division (SID) passe son temps à noter le physique des femmes qu'il rencontre (même quand il examine des cadavres !), et pour tenter de "conclure", il s'est acheté une Porsche Boxster qu'il surnomme sa "baisomobile" ! Même si elle ne figure pas tout en haut de sa liste de "chaudasses", Chen ne dirait pas non à une aventure avec Carol Starkey, mais je vous le donne en mille, cette dernière n'a d'yeux que pour Elvis Cole…
"Le dernier détective", s'il est finalement assez classique dans son déroulement, reste un bon thriller à l'écriture épurée et au rythme haletant (quel suspense lors de l'assaut final !). Au début de chaque chapitre, Robert Crais a eu la bonne idée de nous indiquer le temps s'étant écoulé depuis le kidnapping du garçon, et cette petite astuce de narration nous met, comme les héros, dans un état de stress permanent. Pour rendre son récit moins linéaire, et donner par la même occasion plus d'épaisseur à ses personnages, l'auteur a aussi décidé d'avoir recours à la technique du flashback à plusieurs moments-clés de l'intrigue. Dans le premier (qui dure environ 25 pages), nous apprenons la nature exacte du drame qui marqua le jeune Philip James Cole lorsqu'il était au Vietnam. Dans le second, le narrateur nous décrit les massacres à coups de machettes qu'ont commis les 3 kidnappeurs lorsqu'ils étaient employés comme mercenaires en Sierra Leone...
Enfin, et ce n'est pas négligeable pour les fans de romans policiers, Robert Crais nous fait un petit cadeau le temps d'une brève rencontre (page 140 dans la version poche). En sortant des locaux du L.A.P.D., Elvis aperçoit sur le trottoir un homme dont le visage lui est familier. Rapidement, ses souvenirs lui reviennent, et le détective privé parvient à identifier l'individu : il s'agit d'un ancien "rat de tunnel" qui habite lui aussi dans les hauteurs de Los Angeles. Ce flic, dont la maison a été endommagée par un récent tremblement de terre, vient juste de signer les papiers officialisant son départ à la retraite, et les 2 hommes se retrouvent là devant le Parker Center, à ne pas trop savoir quoi se dire alors qu'ils ont tant de points communs… Vous l'aurez deviné, le tout jeune retraité se nomme Harry Bosch, et ce n'est ni plus ni moins que l'autre grand héros du roman noir américain. Même s'il n'est pas nommément cité, quel frisson quand on se rend compte de qui il s'agit !