Ce condamné, c'est nous. C'est personne, et en même temps tout le monde. Hugo sait saisir le lecteur par les sentiments. Il confère à cette ombre de mouroir une stature universelle autant que majestueuse. Trépidant, passionnant, exaltant, ces paroles sont pourtant l'écho d'un marasme de derniers jours vécus isolés au sein de la prison du Bicêtre, où le néant rythme les secondes qui se dénombrent comme de longues plaies dessinées dans la chair de ce meurtrier dévoré par son esprit. La réclusion, ses souvenirs, sa fille, ses actes réprimés sont outrepassés par la perspective de la potence. La guillotine comme idée fixe, monstrueuse invention dont la barbarie n'a d'égale que l'inhumanité de ces murs glaciaux auxquels se frotte le patient en proie à l'attente. Au pilori, il sera convié, à la vindicte populaire, il sera livré. Seul, il demeurera rivé sur son passé qui ne connaîtra pas de lendemain. Et pourtant, il aimerait tant se raccrocher aux dernières bribes de la vie qui s'effritent. Fuir, fuir, fuir, toujours, l'inconnu que l'on sait déjà inique, sous le Verbe d'un Hugo dont la portée est telle qu'il emporte l'adhésion de tout un chacun. C'est parce qu'il s'efface, se fait neutre devant un geôlier de passage avec lequel il fait corps que la sinistre magie d'un ineffable réel s'opère. Les âmes passent d'une rive à l'autre, successivement, non pas sans que chacune en soit consciente, et s'afflige de ce manque de considération de l'individu. Tous marchandises livrées à un sort funeste, elles sont expédiées sans attache vers un au-delà dont personne n'a décidément déféré de l'utilité profonde. Parce qu'il s'agit avant tout d'un spectacle, la superficialité est Reine, aux côtés d'un Roi qui prononce une sentence irrévocable dont une même chair, pas davantage et pas moins noble, aura à subir les affronts pour assumer la convenance des conventions. Dans un même jeu, une même place, une même scène, un même acte, une même pièce : le théâtre d'une vie entière dont le condamné n'aura guère l'occasion d'embrasser dans sa globalité tant on lui a arraché les derniers consolants espoirs d'un repos que la dignité de tout homme appelle à corps et à cris.
Adrast
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les lectures forcées et finalement adorées

Créée

le 15 déc. 2010

Critique lue 397 fois

1 j'aime

Adrast

Écrit par

Critique lue 397 fois

1

D'autres avis sur Le Dernier Jour d'un condamné

Le Dernier Jour d'un condamné
Vincent-Ruozzi
8

Condamné à mort !

Le livre commence sur cette sentence, brève, précise, irrévocable. Qui ne serait pas habité par une envie de vivre, jusqu’à présent jamais aussi forte, suite à cette terrible condamnation? Cette...

le 10 avr. 2015

28 j'aime

Le Dernier Jour d'un condamné
Noss
5

Critique de Le Dernier Jour d'un condamné par Noss

Réquisitoire engagé et louable contre la peine de mort, néanmoins un peu malhonnête. Hugo présente un personnage dont on ne dit pas le crime, de sorte que pour le lecteur, il n'existe pas. C'est...

Par

le 31 août 2012

28 j'aime

14

Le Dernier Jour d'un condamné
LeChiendeSinope
9

Un violent plaidoyer.

Légers spoilers ! Lorsqu'il se met à écrire Le Dernier Jour d'un Condamné, Hugo a seulement 27 ans. Il est pourtant, déjà, un grand nom de la littérature de l'époque, l'auteur de deux romans, de...

le 21 avr. 2010

28 j'aime

3

Du même critique

Comprendre l'empire
Adrast
6

Comprendre 1/10ème de l'empire

Avec un titre aussi prétentieux, accolé au sulfureux nom d'Alain Soral, il est facile de frémir, de se dire "merde, lire un truc de facho c'est déjà être un peu facho". Et puis on se dit que ce...

le 17 mai 2013

25 j'aime

5

Persepolis
Adrast
4

Court d'Histoire, long de clichés.

Je partais avec un a priori négatif. Après quelques minutes, j'ai révisé mon jugement pour apprécier l'univers pas si niais et rondouillard que j'imaginais. Puis je me suis ravisé. Tout au contraire,...

le 27 mars 2011

24 j'aime

13

Samurai Champloo
Adrast
5

Douche froide.

D'emblée, Samurai Champloo se laisse regarder en se disant qu'on voit un énième manga détroussé de son scénario, foutu aux oubliettes avec son cousin l'originalité. L'absence d'intrigue est ce qui...

le 23 févr. 2011

21 j'aime

9