Un des ouvrages les plus réputés de Marcel Gauchet, le désenchantement du monde essaie de tordre le cou a plusieurs idées sur la religion, son histoire et son rôle dans la société contemporaine. L'oeuvre étant très dense, je vais essayer d'en restituer, aussi fidèlement que possible, quelques idées force.
La première des distinctions qu'il opère est de différencier ce qui regarde la foi individuelle et le rôle que la religion peut jouer comme croyance et source de développement personnel si j'ose dire et la religion comme organisatrice du social et de sa cohésion. Non que les deux soient totalement dissociés, mais j'y reviendrais.
Le thème central de l'oeuvre est que ce qui a disparu en Occident, c'est la structuration de la société, de la communauté, que la religion assurait. Mais à contre-courant des idées reçues sur le sujet, Marcel Gauchet nous invite à considérer que le monothéisme juif, puis surtout chrétien ont préparé cette sortie progressive de la société en dehors du religieux, à leur corps défendant et de manière imperceptible.
Pour Gauchet en effet, l'idée clé est que les sociétés polythéistes, tribales sont celles où le religieux structure toute la vie, explique chaque phénomène et plus encore, ne se justifie ni ne s'explique, parce qu'il est un donné. Ce qui implique un rôle de la société dans l'apprentissage de cette religion, l'individu étant initié au tout. Le religieux est multiforme et partout.
A l'inverse le monothéisme, en créant la figure d'un Dieu unique, et de plus en plis omniscient, l'éloigne de la réalité quotidienne et crée une faille entre son existence et la société terrestre de tous les jours, ouvrant la voie à la sécularisation.
Le monothéisme juif et chrétien par ces multiples ruptures temporelles (péché originel, ancienne alliance, venue de Jésus) invite de surcroît à réfléchir sur le monde d'avant l'Alliance, d'avant le péché, bref contient par lui-même des germes qui forgent sa critique.
Enfin point capital, le monothéisme chrétien fonde sur la vie de Jésus dissocie de manière forte les objectifs de Dieu (mon royaume n'est pas de ce monde, etc.) qui sont au-delà des préoccupations des mortels ou terrestres (inutilité de reconquérir une Terre promise) et vient fonder la sécularisation des activités terrestres.
Ces dissociations progressives vont entraîner une divergence croissante de la foi individuelle et une désintégration progressive du religieux comme fondement de la vie sociale, remplacé un temps par les grandes idéologies et aujourd'hui par un Etat aussi titanesque que bien attentionné car devenu le lieu de recueil d'information et de construction du social, que ni la religion ni les idéologies n'assurent plus.
En quelques mots, voilà quelques grandes pistes de réflexion ouvertes par l'essai de Marcel Gauchet. Pour passionnantes que soient les thèses qu'il développe, je mettrais toutefois deux bémols à cet ouvrage.
D'abord, il est parfois difficile à lire; ensuite il reste très au niveau de l'abstraction. Certes, Gauchet en informe son lecteur dès l'origine. Mais à vouloir décrire à grands traits un phénomène qui se serait déroulé en quelques sortes dans l'inconscient collectif il manque de sources et d'exemples et reste en fait très abstrait, au point qu'à la fin on ne sait quel crédit accorder à un texte qui, pour être bien pensé, semble reposer sur peu de fondements tangibles et davantage sur une association d'intuitions de son auteur érigées en système cohérent.