Le Désespéré
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Le Désespéré

livre de Léon Bloy (1887)

Comme l'a dit un jour ce cher Pialat (pour qui j'ai beaucoup d'affection) : "Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus".
Eh bien c'est un peu la même chose avec le Désespéré. Ce n'est pas facile d'aimer ce livre, qui n'aime pas son lecteur.
Il fallait bien être ce fâché chronique de Bloy pour délivrer cette rareté : une oeuvre qui ne repose sur aucun pacte, aucune connivence, aucune séduction.
Laideur, difformité, hypertrophie, en effet rien ne nous est épargné au cours de l'épopée tragique et grotesque de Caïn Marchenoir, mais qu'importe ?
Du dégoût peut naître la fascination, du rejet les passions les plus fiévreuses, et heureusement pour l'art l'Ordure est amie du Beau, qui le lui rend bien.

Logique donc que ce qui apparaît a priori comme le plus gros défaut de cette oeuvre soit aussi sa plus grande force : la démesure.
Mais la démesure chez Bloy n'a pas l'alignement éclatant d'un jardin à la française. Elle ressemble plutôt à un fleuve en crue qui charrierait une montagne de déchets et de pierres précieuses.
Les déconvenues en courant continu de Marchenoir comme les digressions délirantes de l'auteur sont menées pied au plancher, dans une frénésie totalement arythmique qui fatigue certes, mais subjugue et hypnotise.
Car il y a ce paradoxe inouï chez Bloy : sa course ad nauseam vers l'Absolu (qui est avant tout un absolu littéraire) est une descente au coeur même de l'animal, et son mysticisme est servi par une littérature de la chair, dans ce qu'elle a de plus prosaïque et trivial.
Si cette congestion permanente, dans laquelle tout est toujours trop, ne laisse presque aucun espace de respiration, et exaspère, c'est aussi elle qui tend le récit et en constitue la matière incandescente.

Nuance, recul, distanciation sont absolument hors champ pour ce singulier personnage qui n'hésite pas, pour étayer son propos, à atomiser tous les codes, au détriment même de son oeuvre.
Abandonner presque entièrement toute velléité de construction narrative, triturer et déformer au miroir grossissant son double littéraire, laisser tomber ses personnages en cours de route, rien ne lui fait peur.
Il y a de l'héroïsme et pas mal de panache dans un tel mépris du bon sens romancier.

Et puis comment ne pas s'attacher à un type qui vous jette aux orties trois siècles de suprématie de la Raison en l'espace de trois phrases ?

Pris sous le seul angle de la question religieuse, Le Désespéré pourrait sembler définitivement imbuvable, la crucifixion permanente de ce pauvre Caïn ayant des vertus clairement soporifiques.
Bien heureusement on n'est pas dans le plaidoyer prosélyte, le damné ne prend pas exactement fait et cause pour sa paroisse, et sa vindicte est à 360°.
Sa description du catholique moderne est à vous dégoûter à tout jamais de mettre les pieds dans une église, et le christianisme Marchenoir est tellement haut de gamme que de toute façon personne, même à s'injecter la chasteté en intraveineuse et à se faire arracher toutes les dents, n'a le moindre espoir de grâce, ce qui règle le problème assez vite.
Le mal de Caïn est celui de l'inadéquation implacable, de la solitude inexpiable, c'est très simple, universel et sans issue.

Malgré son pouvoir de fascination, il y a pourtant fort à parier que l'éructation infinie du Désespéré serait tombée aux oubliettes du siècle sans les deux armes suprêmes de Bloy : l'humour et le style.

Car oui, il y a de l'humour chez Bloy. C'est vrai il faut le déceler, il est parfois enseveli sous des tombereaux de lamentations, et en plus c'est souvent très méchant.
Mais le portrait d'Alexis "l'Evangéliste du rien" Dulaurier est un sommet du genre, et on ne peut pas affubler ses inimitiés de noms aussi pittoresques que Dr Chérubin des Bois, Alcide Lerat ou Hilaire Dupoignet sans être soi-même assez farceur.

Quant au style... Bloy n'écrit comme personne, et son génie est celui d'un poète de la plus haute volée. Qui détache les fruits oubliés et juteux d'un français aux profondeurs insoupçonnées, les ouvre, les retourne et les assemble méticuleusement en une langue d'une abondance et d'une ampleur qui éblouit.
Ses métaphores fulgurantes et ses fantasmagories dignes de Jérôme Bosch valent le livre à elles seules.

Le désespéré n'est pas facile à aimer, mais il est encore moins facile à oublier, c'est mieux.
Olympia
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le 15 août 2012

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Olympia

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