Le deuil des vers
« Mon âme est pure ainsi que l’âme la plus pure » (« Élégie seconde », III, p. 27). Heureusement qu’il y a des vers plus solides pour remonter un peu le niveau. A priori, le...
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le 13 juil. 2015
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Mais où sont les gardes champêtres d’antan ?
Les policiers municipaux, les pervenches, tous ces braves agents de surveillance
De la voie publique
Notre candidature avait été agréée par Monsieur le procureur de la République
Il nous conférait le pouvoir de verbaliser les contrevenants sur la voie publique
Devant le tribunal d’instance, nous avions prêté serment
La mission était fort belle, les agents tous impatients
Nous étions jeunes et larges d'épaules
Bandits joyeux, insolents et drôles
On attendait que la mort nous frôle
On the road again, again…
Nous étions nombreux et fiers de servir la loi
Nous écoutions, aidions, contrôlions avec joie
Nous étions cette police de proximité, que chaque ministre entend refonder
Nous aidions les personnes âgées, les enfants et les handicapés à traverser
Nous protégions la paix, les biens et les personnes
Nous verbalisions, d’une contredanse faisions l’aumône
Pas les élus et les commerçants, les braves gens et les clients
Seulement l’étranger de passage, le trop mal garé ou bruyant
Nous étions là pour vous tous, rassurants et prévenants
Le monde change
Les amendes ont cédé la place aux forfaits de post-stationnement
Par appel d’offre, les mairies en ont privatisé le recouvrement
Le FPS n’est plus contestable. Plus cher, il vous ruine
Il nous reste les sorties des écoles, les déjections canines
J’ai encore dix ans à tirer
À nous le placard doré
Le monde change
Les sociétés privées facturent au nombre de contrôles
Leurs agents arpentent et flashent, leur unique rôle
Qu’il pleuve ou qu’il vente, sept heures par jour
15 à 20 km à pied, traqués par GPS, sans recours
Oubliez les services à la population et les enfants à consoler
L’appareil flashe, l’algorithme s’assure que vous ayez payé
Vous qui êtes en faute, oui, vous serez tous sanctionnés !
Sauf les titulaires de cartes de stationnement pour handicapés
L’agent laisse un avertissement, ou pas, et au suivant
Le rendement a été multiplié par vingt, c’est alléchant
Le maire est au comble du ravissement
Que d’argent, que d’argent, que d’argent
Le monde change
Les agents ont tôt fait de s’épuiser
Le turn-over n’a fait que progressé
Peu importe, leur temps est compté
Voici la lecture automatique des plaques d’immatriculation
LAPI, le doux nom donné aux caméras des voitures espions
Le prochain saut technologique est déjà prêt
Aux seuls maires, le pouvoir de les autoriser
Effrayés, mais ravis : ça rapporte très gros
« On peut enfin se garer », l’excuse a bon dos
Certes, à condition d’y mettre le prix
Ici-bas, tout s’achète, tout est dit
Le monde change
Quatre caméras, un chauffeur et une voiture banalisée
Grace à un écran, les FPS sont validés par un préposé
Jusqu’aux jours où les cartes handicapées seront numérisées
Limitant les abus, les fraudes et les recours, qu’ils paient !
Le moloch a faim
Mais où sont les funéraill's d'antan ?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps...
Merci à Francis Jammes, Bernard Lavilliers et Georges Brassens**Texte en gras**
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le 8 avr. 2019
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