Le Déversoir
6.1
Le Déversoir

livre de Arthur Teboul (2023)

Un Lautréamont pour ado, un Desnos pour bobo.

Arthur Teboul sort un (ne pas faire la liaison) premier recueil de ce qu’il nomme poème-minute, ce qui n’est qu’une version appauvrie (attardée ?) de l’écriture automatique. Car oui, le seul lien qu’il y a là avec l’écriture automatique est la notion de rapidité. Le poème a été écrit rapidement, pas retouché : boum, c’est de l’écriture automatique ! Cela démontre surtout une vision très pauvre des surréalistes.

Ce livre a eu du succès, notamment auprès des gens qui ne lisent pas de poésie. Il est adulé par la presse et les médias qui, habituellement, ne parlent jamais de poésie. Mais que vaut leur avis ? Que vaut mon avis sur la soudure sous-marine alors que je n’en fais jamais ?

Le projet de Teboul est énoncé dès la préface : il ouvre un cabinet où il écrit des poèmes-minutes pour les gens et il veut qu’on puisse aller chez ce « Déversoir » de poème « comme on va se faire les ongles ». (Notons au passage qu’un déversoir mène aux égouts, cqfd ?) Peut-on faire une vision plus bourgeoise de la poésie ? Qui ira se faire un poème-minute, si ce genre d’initiative se met en place ? Bien sûr, le cadre-sup, start-up nation, après s’être fait livrer son repas par un immigré payé une misère. La poésie oui, mais entre deux réunions au sujet d’un point litigieux auprès du service juridique seulement ! Suffit de voir sa page instagram : que des petits bobos venus rencontrer leur chanteur post-rock préféré et récupérer leur poème (médiocre [je n’en ai pas la preuve, mais au vu de ceux qui sont dans le livre… j’imagine même pas ceux balancés à la foule comme ça, l’air de rien…]) et filer au Starbucks le plus proche le prendre en photo pour le mettre en story et identifier Teboul et Seghers qui reposteront sur leur propre story.

Bon, pour la révolution poétique populaire, on repassera. D’ailleurs, la poésie populaire d’aujourd’hui, Rupi Kaur, Coulon, Bobin, n’ont pas l’aspect révolutionnaire qu’avaient Prévert et Brassens. C’est un autre sujet.

La deuxième chose prônée par Teboul est l’association inattendue d’un nom et d’un adjectif. Après tout, Garcia Lorca disait que la poésie naît quand deux mots que personne n’aurait pu imaginer ensemble se rencontrent. Teboul reprend l’idée : « De cette association inattendue, entre ce nom venu par inadvertance et cet adjectif non désiré, naît une image nouvelle, inconnue, un trésor qui réveille la part magique des mots et notre part de mystère. Cette part de soi-même inconnue à soi-même. » écrit-il. « Hémorroïde langoureux » voilà mon poème, ma part de moi-même inconnue à moi-même. Bref, cette pauvreté intellectuelle n’est pas l’apanage de Teboul seul. Andrée Chedid définissait ainsi la poésie : « Pour moi, la poésie n’est pas quelque chose de coupé de la vie, c’est la pleine réalité. Enfin c’est la réalité qui comprend l’existence et cette essence de vie qui frémit au fond de nous. » Remplacez le mot poésie par n’importe quoi : marche en plaine, peinture, ski nautique, pêche à la mouche, sexe BDSM, sortie de corps astrale, la définition fonctionne toujours. Dans les deux cas, il n’y a aucune idée, aucun concept théorique, rien, du vide.

Mais tout cela ne dit rien sur la qualité des poèmes. C’est d’ailleurs une question difficile, si je dis qu’un tel poème est à chier, qu’on me répond « moi, il m’a touché », que dire ensuite ? Beaucoup considèrent les poèmes de « La mort viendra elle aura tes yeux » comme étant les plus faibles de Pavese, pourtant, je trouve que ce sont les plus touchants. (Vous n’avez aucune preuve qu’ils m’aient fait pleurer. Je ne pleure pas moi, je suis un mâle alpha, c’est prouvé.) Très peu de poèmes de Cendrars me touchent, pourtant je reconnais que c’est un grand poète.

Il faut donc ici avoir recours à un outil : la comparaison. Les poèmes de Teboul ont un air surréaliste (le mouvement pas l’adjectif). Mais surréaliste forcé, qui essaie d’être. Cf. « La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf » de Lafontaine. Oui madame, on connaît nos classiques ici.

Bon comparons avec Desnos, par exemple. Teboul, surréalisto-bobo, écrit : « J’ai mangé une mince affaire un soir de décembre et c’était délicieux. Tout concordait. Nous étions entourés de petits freluquets qui sautillaient en tournant autour de nous. Dehors, le ciel était sombre et comblé de promesses. Un invité éternua drôlement fort sans que beaucoup y prêtent attention. » On sent qu’il essaie de mélanger deux plans : le rêve et la réalité, surréalisme donc. Mais la mayonnaise ne prend pas. Desnos, lui écrit : « Je m’étais attardé ce matin-là à brosser les dents d’un joli animal que, patiemment, j’apprivoise. C’est un caméléon. Cette aimable bête fuma, comme à l’ordinaire, quelques cigarettes, puis je partis. // Dans l’escalier je la rencontrai. « Je mauve », me dit-elle et tandis que moi-même je cristal à pleine ciel-je à son regard qui fleuve vers moi. Or, il serrure et, maîtresse ! Tu pitchpin qu’a joli vase je me chaise si les chemins tombeaux. » On voit ici un travail surréaliste sur la langue, pas seulement sur les idées. C’est donc la conjugaison de la langue surréaliste et de la situation, des idées, qui en fait un grand poème surréaliste. Teboul veut faire du Desnos, mais Desnos était un génie, écrivait il y a cent ans et, tout autodidacte qu’il était, réfléchissait son médium. Teboul trouve juste ça cool et apaisant d’écrire vite.

Le livre est ponctué de petit poème simplet du genre : « Va vers nulle part/ L’horizon n’est pas loin/ Va vers nulle part/ Tu connais le chemin ». Bon, déjà ça ressemble au refrain d’une chanson du genre Star-Ac’ (chacun sa route/ chacun son chemin), d’autre part, c’est encore une fois du déjà lu, en mille fois mieux : Prévert : « J’aime mieux/ tes lèvres/ que mes livres » ou encore « Mangez sur l’herbe/ Dépêchez-vous/ Un jour ou l’autre/ l’herbe mangera sur vous ». De toute manière, Teboul essaie de faire son Prévert, de faire des inventaires, de chanter les moments suspendus et enfantins dans les rues parisiennes. Exemple tiré du premier poème : « Personne ne faisait mine de l’ignorer mais tout le monde l’ignorait quand même, parce qu’il y avait d’autres choses à penser, comme la nourriture, la joie première, l’amour et les camarades. » La phrase est maladroite, on ne sait pas trop où il veut en venir. Faire mine de l’ignorer, donc faire semblant de l’ignorer. Donc le considérer. Personne ne faisait mine de l’ignorer, donc personne ne faisait semblant de l’ignorer, donc personne ne le considérait ? Donc personne ne faisait semblant de l’ignorer, mais tout le monde l’ignorait quand même ? C’est ampoulé.

En réalité, le recueil de Teboul a été publié par Seghers, grande maison s’il en est (ils ont aussi publié Sophie Marceau) parce qu’ils étaient certains d’avoir un public déjà acquis : celui de Feu ! Chatterton (très bon groupe). N’importe quel inconnu viendrait avec ce livre qui se ferait refouler. Mais ils ont eu raison, la preuve, il a atteint les 10 000 ventes, c’est énorme. Mais c’est la poésie qui y perd. Suffit de voir leur site, où ils recensent les médias qui parlent du livre : « Le premier poète vivant à intégrer le prestigieux catalogue d'une maison emblématique des lettres françaises. LÉA SALAMÉ / FRANCE INTER (ce qui est faux, je crois) ; Le baptême du feu d’un poète/chanteur. M, MAGASINE LE MONDE etc. » Que des faits, rien que des faits, mais qui parle de poésie ? Qui ?

Peut-être que les poèmes de Teboul ne sont pas si mauvais, mais lorsqu’on a lu Rimbaud, Desnos et Prévert, on connaît déjà tout ça, fait en mille fois mieux. Teboul est en retard de cent ans. Il réinvente la roue, mais une roue carrée, moins bien que la roue circulaire, qui roule moins bien, c’est quand même con, mais ça fait vendre.

jacmaz
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le 22 mai 2023

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