La chronique littéraire sur les radios de l'Arc jurassien
Annette et Alain Reille sont assis dans le salon de Véronique et Michel Houillé, face à face.
Les deux couples se rencontrent pour la première fois parce que le fils des Reille a frappé au visage celui des Houillé avec un bâton.
D'une situation calme et civilisée, la pièce de théâtre de Yasmina Reza va rapidement dégénérer en un grand n'importe quoi.
Entre chaque morceau de banalités échangées, les personnages vivent des malaises gênants et des non-dits qu'ils dissimulent derrière leur bonne éducation. En dépit de tous leurs efforts pour se sortir indemnes de cette rencontre, il vont être rattrapés par leur animalité et rapidement se dévoiler.
Alain, c'est l'avocat sans scrupules qui défend une entreprise pharmaceutique. Son téléphone portable sonne à tout bout de champ et il répond en plein milieu des conversations, pendant toute la pièce.
Véronique, c'est l'humaniste, celle qui préfère le dialogue à la violence. Yasmina Reza est tellement impitoyable avec ses personnages que Véronique finira par taper son mari.
Michel, le mari est un modèle de gentillesse. Il propose les cafés, le reste de clafoutis, il essaie d'arrondir les angles, de mettre tout le monde à l'aise. Je vous laisse deviner quel est son véritable caractère !
Annette, c'est la parfaite bourgeoise qui reste en retrait. Mais sous ses airs calmes elle va révéler une personnalité burlesque et stressée, qui vomira le clafoutis sur les livres d'art de Véronique.
Le dieu du carnage, c'est la vision du dérapage des bons sentiments humains. C'est lorsque la politesse et les bonnes manières cèdent leur place à la dérive émotionnelle, à l'hystérie et à la colère. Une réalité mordante digne de Ionesco.
En 120 pages, Yasmina Reza fait basculer ses personnages d'êtres civilisés à l'état animal.
Le pire, c'est qu'on prend un malin plaisir à voir les masques tomber et à assister à l'hystérie collective.
On dévore les dialogues à toute allure, et on se délecte de la perversité de l'auteur avec le genre humain.
Le dieu du carnage c'est une pièce hilarante à lire d'un seul trait.
Si je vous parle de cette pièce aujourd'hui, c'est parce que Roman Polanski en a fait un film, qui s'appelle Carnage. le réalisateur s'associe à Yasmina Reza pour écrire le scénario et s'entoure des meilleurs acteurs pour camper les personnages : Kate Winslet c'est la bourgeoise, Christoph Waltz, l'avocat, Jodie Foster, l'humaniste et John C. Reilly, le modèle de gentillesse.
Si le jeu d'acteurs est le véritable atout du film, en particulier celui de Christoph Waltz, excellent de justesse, on perd la force théâtrale de la pièce et les moments de flottement qui provoquent un certain malaise chez le lecteur. Malaise qu'on peine à retrouver dans le film de Roman Polanski.