Le dit de la Petite Ourse blanche
Sutty (prononcer Sati) une jeune Terrienne d'origine indienne, a quitté la Terre où des mouvements religieux imposent par la croisade armée leur doctrine à toute l'humanité. Elle rejoint l'Ekumen qui l'envoie en ambassade sur la planète Aka, récemment intégrée. Mais le voyage pour la rejoindre ayant duré cent ans, elle trouve une planète différente de celle qu'elle a étudiée par les textes. Aka, au contact des nouvelles technologies amenée par l'Ekumen, a décidé de faire du passé table rase et impose à ses habitants une marche vers un "progrès" fasciste, qui interdit de se tourner vers l'ancienne culture. Dépitée, et étroitement contrôlée par la pouvoir sur Aka, Sutty a la surprise d'obtenir une autorisation de visiter librement l'arrière-pays. C'est une occasion unique pour elle de comprendre ce qui subsiste de l'histoire d'Aka et de son ancienne vision du monde.
Publié en 2000, Le dit d'Aka (The telling) transcrit dans l'anticipation, avec patience et précision, un angle d'observation d'Ursula Le Guin sur l'humanité. On n'est pas long à comprendre qu'elle mène une réflexion sur la fluctuation des civilisations entre "barbarie" et "progrès" avec un rapport à la transformation récente de pays comme la Chine. La comparaison d'Aka avec la Chine de la révolution culturelle et le Tibet s'impose sans ambages.
Le choix comme héroïne d'une jeune femme d'origine indienne à l'esprit ouvert, immigrée à Vancouver, était-il innocent ? En tous cas, il positionne l'héroïne dans le rôle d'observatrice idéale de l'aventure. Idéaliste, tolérante mais maladroite par inexpérience dans son rôle de diplomate, Sutty accepte une mission d'exploration dont elle ne maîtrise pas les raisons réelles. Sa culture indienne et hindoue, on le verra, servira aussi son rôle.
La maturité de l'auteure, née en 1929, donne à son roman une avance sur ses contemporains qu'elle laisse sur place alors qu'ils sombrent doucement dans la décadence de la production-consommation et de l'amour immodéré de l'argent-roi. Et on songe précisément qu'elle observait de son vivant avec une certaine mélancolie cette évolution que la plupart des humains renoncent à percevoir. Un peu comme si l'ambassadrice de l'Ekumen sur Terre, c'était notre Ursula.
Le dit d'Aka, comme la plupart des romans d'Ursula, se déguste avec lenteur. Ciselé avec une attention de tous les instants, il nous plonge dans un regard généreux et tolérant sur les rapports humains. Une petite merveille dont l'éclat vient s'ajouter à la constellation littéraire léguée par cette auteure exceptionnelle.
P-S : Dans l'édition du Livre de poche, Le dit d'Aka cohabite avec Le nom du monde est Forêt et une excellente analyse de Gérard Klein de plus de 80 pages, qui date de 1975 et n'a pas pris une ride en un demi-siècle !