Je clôture ma trilogie Dashiell Hammett avec son œuvre la plus célèbre, Le Faucon Maltais. J'avais entamé ce cycle avec l'excellent Moisson Rouge (1929) puis enchainé avec La Clé de verre (1931), restait LE chainon manquant, ce satané Faucon de Malte, l'équivalent des Tables de la Loi pour plusieurs générations d'écrivains qui se lanceraient dans le polar par la suite (Westlake, Himes, Leonard, Ellroy,...). Publié en 1930 donc, ce troisième livre fut pour son auteur un triomphe littéraire que les adaptations cinématographiques (en particulier celle de John Huston avec Humphrey Bogart en 1941) ont contribué à asseoir parmi les plus grands romans policiers jamais écrits. Ça met à peine la pression quand on vient d'enchainer deux perles du même auteur, elles aussi considérées comme des incontournables du genre.
Au petit jeu des préférences, je pense que Moisson Rouge conserverait une légère tête d'avance sur ses deux confrères que je mettrais exactement au même niveau. C'est à dire assez haut quand même. Déjà, Sam Spade et Ned Beaumont (héros dans La Clé de verre) sont très similaires. L'un et l'autre cultivent les bons mots, entretiennent leur cynisme bien qu'ils soient dotés d'un sens moral inamovible et n'ont pas peur d'arroser de coups leurs adversaires. Le statut du Continental Op (personnage principal de Moisson Rouge) est lui plus trouble. Ex-détective privé lui-même, il y a fort à parier que Dashiell Hammett a mis beaucoup de lui chez Spade (qui porte d'ailleurs son prénom) et Beaumont, deux hommes qui flirtent avec l'obscurité sans jamais lui céder un pouce de terrain. Un zeste de romantisme collant à merveille à ces hommes qui taquinent la bouteille, fument comme des pompiers et plongent les mains dans le cambouis couleur sang. Le héros du Faucon de Malte est peut-être un peu plus lumineux, ne serait-ce que dans ses rapports affectueux avec son assistante Effie ou ses relations teintées d'humour avec la police.
L'intrigue est moins politique, néanmoins le jeu permanent du rapport de forces entre les personnages maintient un climat orageux, menaçant. Une fois de plus, Hammett offre le beau rôle à une femme, Brigid O'Shaughnessy, le vrai joker du roman. À l'instar de Spade, l'écrivain joue avec les angles, les ellipses ou le "hors-champ" pour placer son lecteur dans une position d'incertitude. Tout cela file jusqu'à un final en mode partie de poker à haut risque qui prend aux tripes. On achève les 325 pages encore bien sonné mais parfaitement conscient de l'importance du Faucon Maltais sur ses héritiers, sur le roman noir et à fortiori le film noir. C'est peu dire que le cycle Hammett m'a apporté entière satisfaction.