"Pour imaginer le Soleil, vous ne faites qu'imaginer une lampe en plus grand"

Il semble que la propension de C. S. Lewis à faire de chacune de ses oeuvres une habile charge appelant à la conversion au christianisme ait quelque peu dégoûté certains lecteurs.

Je ne nie pas que l'on puisse ressentir une certaine fatigue face à des parallèles lourds (Aslan le Fils de Dieu se sacrifiant pour les péchés du monde n'est est qu'un aperçu), mais il faut bien l'admettre, certains arguments sont parfois d'une subtilité et d'une intelligence aussi déconcertantes qu'intéressantes. Le principal passage dans lequel Lewis va avoir l'occasion de faire montre de ses qualités d'évangélisateur se situe lors de la discussion-débat entre les héros, venus de la surface de la terre pour sauver un prince disparu depuis des années, et la sorcière à l'origine dudit enlèvement. La discussion a lieu dans les profondeurs de la Terre, et, là où ciel et air pur ne sont que légendes, elle va tenter de convaincre ses invités que le monde de la surface n'existe pas afin de les piéger.

La sorcière commence donc par demander ce à quoi ressemble la surface. On lui décrit le ciel, comme une évidence. Mais qu'est-ce que le ciel ? demande la sorcière amusée - et les enfants perdus de reconnaître qu'il est difficile de décrire le ciel à quelqu'un qui a toujours vécu dans les entrailles de la Terre.

Le ciel, expliquent-ils, est un vide immense et bleu au-dessus des têtes, où brille le Soleil. Mais qu'est-ce que le Soleil ? poursuit la sorcière - et les enfants de lui répondre qu'il s'agit d'une lampe. En plus grand, plus gros, et qui brille plus fort.

Le débat se déplace sur Terre. Alors que la sorcière demande ce qu'il y a de spécial là-bas, les enfants trouvent immédiatement la réponse : Aslan. Qui est-ce ? demande la sorcière - Un lion. Mais qu'est-ce qu'un lion ? demande la sorcière - et les enfants ennuyés avouent que c'est une sorte de chat. En plus grand, plus gros, qui rugit et qui est très fort.

La sorcière conclut donc logiquement que le monde de la surface évoqué est en tous points exact au monde des profondeurs, mais en plus grand, plus beau, plus lumineux. Mais elle attaque aussitôt : illusion, illusion ! Tout cela n'est qu'illusion, puisque il ne s'agit que d'un fantasme des enfants qui, en jouant à se créer un monde fantasmé, peinent à l'imaginer autrement qu'un monde souterrain en plus grand et plus beau. Elle conclut donc qu'il s'agit d'une fuite de la réalité de ces enfants qui, en voulant échapper à leurs vies étriquées, ont tout simplement inventé un monde meilleur - un monde qui, bien entendu, n'a aucun lien avec la réalité que constitue le monde souterrain.

La critique athée de la vision de Dieu qu'a construite Feuerbach reprend mot pour mot cet argumentaire. Le parallèle est évident présenté ainsi : Lewis, en mettant en scène ce débat enfantin (quoique aux conséquences graves dans le roman), enseigne tout simplement aux lecteurs les bases de la défense de l'idée de Dieu. On appréciera ou non l'idée, mais la méthode est intéressante et agréablement subtile. Ce qui rehausse l'intérêt du "Fauteuil d'Argent", qui reste cependant, à l'instar des autres Narnia, un excellent conte de fantasy et un modèle de narration interne.

Au fait, pour ceux qui seraient intéressés, les enfants réussissent à se sortir de la situation difficile dans laquelle ils s'étaient mis en arguant que, oui, peut-être leur "surface" n'est-elle une illusion pour cerveaux malades. Mais que, quand bien même ce serait le cas, ils préfèrent mille fois leur puérile illusion à un monde sombre, sans espoir et même "franchement minable, si vous voulez mon avis."
Tezuka
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le 30 juil. 2014

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