La malédiction de Cassandre a toujours frappé les visionnaires : ils prédisent l'avenir, mais jamais personne ne les croit.
Ainsi en est-il de Franx, héros de ce livre, vilipendé, moqué, trahi, méprisé, qui prophétise la fin de ce monde, et l'avènement d'une nouvelle ère après une décennie de bouleversements géologiques et climatiques.
Franx a eu l'incroyable énergie de réaliser son rêve de fou en construisant avec l'aide d'une petite communauté une véritable forteresse dans le fin fond du Périgord noir, au lieu-dit le « Feu de Dieu ». Une forteresse destinée à les protéger durant la décennie que durerait les cataclysme climatiques et géologiques.
Mais qui, à l'exception de Franx avec son caractère bien trempé et son intransigeance, pourrait durablement croire à l'extinction prochaine de l'espèce humaine ?
C'est au moment où la petite communauté se désagrège de l'intérieur et quitte le « Feu de Dieu » que le « Grand Bouleversement » finit par arriver, si promptement que Franx n'a même pas le temps de dire aux incroyants, aux sceptiques et aux persifleurs : « Vous voyez, je vous l'avais bien dit ! »
Deux destins se déroulent en parallèle.
Le voyage apocalyptique et dantesque de Franx pour rejoindre sa famille terrée au « Feu de Dieu ». Cinq cent bornes à pied au milieu d'un paysage ravagé, d'orgueilleuses cités millénaires englouties ; une marche harassante dans le blizzard, la nuit perpétuelle et les pluies de cendre ; un combat inégal contre la faim, l'épuisement, le découragement, et le froid mordant jusqu'à l'os ; une lutte de chaque instant contre soi-même et contre tous les autres survivants, et d'abord les rats, éternels rivaux de l'homme. Pour survivre et avancer, Franx doit abandonner toute émotion, toute compassion. Se faire plus dur que le roc.
Quant au « Feu de Dieu », nous assistons à un huis-clos malsain et étouffant où la famille de Franx se protège tant bien que mal et cherche à se libérer de la tyrannie de Jim aux « doigts tentaculaires ».
Pourtant, malgré cette atmosphère oppressante, cet épuisement des corps et des âmes tellement palpables, ce fatalisme mortifère, il existe toujours un peu d'amour et d'humanité qui permet à nos héros si malmenés de poursuivre leur chemin, de chercher à survivre, vaille que vaille.
On entrevoit, de temps à autre, dans une fugace éclaircie une espérance nouvelle pour l'humanité, et c'est tout le talent de Pierre Bordage que d'avoir confié les clefs de ce monde en gestation aux deux êtres les plus fragiles, les plus innocents et les plus démunis de cette sombre histoire.
Un beau livre, d'une noirceur sidérale, d'une violence pure, mais aussi plein d'espérance, qui m'a tenu en haleine jusqu'au bout.