en quelques mots ce que le récit a dans le bidou : "Au rayon des soupes le liquide a plusieurs couleurs" (p.46). Rien d’illogique ici car il y a effectivement (à ma connaissance) des liquides de couleurs variées au rayon des soupes du supermarché au coin de la rue. Rien en soi d’incohérent, de trompeur ou d’invraisemblable mais pourtant cette petite phrase écrite au détour d’un chapitre du feu extérieur d’Adrien Lafille est perturbante, elle met de travers, elle passe pas inaperçue, elle fait son chemin, elle est comme d’un autre monde mais du même monde. Elle est comme évidente mais pas vue. Quand je vais au rayon des soupes je veux une soupe avant tout et pas une couleur, on est d’accord, si je veux une soupe à la tomate je ne veux pas un liquide au rouge et si je veux une soupe au petits pois (ça existe) je ne veux pas un liquide au vert, et je ne demande jamais à un employé où se trouve le rayon des liquides de couleur ça n’a pas de sens mais pourtant c’est immanquablement vrai, c’est une synecdoque employée pour faire monde, pour être le monde dans le monde et c’est ça c’est le feu extérieur qui se répand dans le livre, c’est la manière qu’ont les objets et les actions de brûler autrement, de se consumer au creux d’une autre manière d’être au monde dans le même monde mais en différent. C’est un incendie pré-prévisionnel. Le feu extérieur est un immense bac à sable à la jouabilité fantastique remodelant constamment notre perception, jouant avec nos yeux, au seuil de la sensation pré-conceptuelle, pré-objectale, dans la fluidité des métaphores, souvent à la limite d’une réalité alternative (limite parfois franchie, parfois dé-franchie). Un peu parménidien, un peu phénoménologique, comme le moment enflammé et extrêmement subjectif qui précède l’immobilisation et la glaciation des choses et du monde dans l’attendu, le prêt-à-sentir, le schématique, le planifié et l’ordonné. Ce moment où imaginer comment voir autrement.