Soudain réapparu après des années d’absence et de silence, un homme convainc sa compagne, enceinte d’un autre, et son fils de neuf ans, de le suivre aux Roches, une bâtisse difficilement accessible et à peine habitable, perdue loin de tout dans la montagne. Leur rustique séjour au vert tourne rapidement à l’aigre, alors que le père, dévoré par le passé et par la jalousie, révèle peu à peu ses véritables intentions, en même temps que les signes d’une folie grandissante. La mère et le fils réalisent bientôt qu’ils sont prisonniers des Roches…
Aucun nom ne personnalise le récit, qui, construit autour des seules mentions, à consonance biblique, d’un père, d’une mère et d’un fils, se pare de toute évidence de la portée universelle annoncée par le titre et soulignée par le prologue. En commençant par nous renvoyer aux âges préhistoriques, dans l’évocation accablante d’êtres usés par la constante lutte pour leur survie, selon des règles sauvages et violentes transmises de père en fils, l'introduction du roman nous place d’emblée face à la perception de notre insignifiance et de notre infinie solitude dans l’immensité glacée et minérale de l’univers. Le malheur semble inhérent au destin humain, dans une éternelle tragédie rejouée à chaque génération. Et comme son père avant lui, l’homme au centre de la narration ne manquera pas de transmettre la malédiction de la douleur, de la violence et de la haine.
Désespérément noire, la tonalité du récit n’autorise aucune éclaircie. D’emblée chargé d’angoisse, le texte avance au rythme des observations du fils de neuf ans, instinctivement conscient de la menace en germe dans l’étrangeté du père. Pour épouser la progression de son regard sur cet homme sorti de nulle part qui tient pourtant son sort et celui de la mère dans ses mains, la narration se nourrit des dialogues elliptiques, puis des monologues paternels de plus en plus hallucinés, qui laissent entrevoir en pointillés un passé tourmenté. Le langage corporel, retranscrit avec une exceptionnelle précision, prend le relais d’une analyse psychologique totalement absente. Et, tandis que se précisent les failles d’une personnalité en train de reproduire une histoire en de maints points semblable à celle vécue une génération plus tôt, l’isolement dans une nature magnifiquement décrite dans tout ce qu’elle peut comporter de menaces et de dangers quand on s’y retrouve abandonné comme un nourrisson sans ressources ni défenses, achève d’alourdir le climat anxiogène qui pèse sur le lecteur depuis la première page.
Il ne se passe au final que peu de choses dans cette histoire. Mais le pessimisme accablant et l’atmosphère menaçante du récit entretiennent un sentiment vivace de vulnérabilité face à l’impondérable tragédie de la destinée humaine. Travaillé dans son expression et son vocabulaire, le style s’élève souvent vers d’admirables hauteurs, et, nonobstant deux infimes mais surprenantes incohérences, c’est un livre en tout point remarquable qui réussit ici à nous régaler. Coup de coeur.
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