Dans son terrible roman Inferno, Strindberg dit (citation approximative, je n’ai plus le texte sous la main) : « Si tu ne crois pas, lecteur, à tout ce que je dis, si tu pense que j’invente, lis Le fils de la servante et Le plaidoyer d’un fou. » Le fils de la servante et Le plaidoyer d’un fou sont deux romans autobiographiques. Des thématiques comme celles des classes sociales, du piétisme, du mysticisme, la chimie, la botanique, ou la mer, tournent toujours, chez l’écrivain suédois, de façon obsessionnelle. Tout cela, c’est lui, c’est Strindberg ; cet étrange génie, glaçant, mais curieusement attachant. Strindberg ne cherche jamais à séduire : il s’impose, lui et ses fantasmes. En termes d'expositions de ses démons intérieurs Inferno constituait une sorte de paroxysme ― et à vrai dire, c’était trop. Parce que dans ce fragment qui n’est au fond pas tout à fait autonome, Strindberg, misant tout sur la démonstration de son tourment, ne manifestait plus que discrètement la froide lucidité d’une analyse détachée de soi, lucidité analytique qui en revanche fait toute la valeur du magnifique Au bord de la vaste mer ou de son roman Le fils de la servante. Pour ce dernier il faut noter que le personnage principale n’est pas August Strindberg, mais un dénommé Jean à la troisième personne du singulier.


Mais il devient déjà (!) difficile pour moi de juger les livres de Strindberg indépendamment d'un tout cohérent.


Le fils de la servante diffère complètement d’Inferno dans la forme. Dans Le fils de la servante, il n’y a pas précisément un étalage de sa vie entière. S’il on voit, comme dans un « Bildungsroman », l’évolution d’un personnage, Strindberg ne s’impose pas une progression rigoureusement chronologique. Il laisse probablement des blancs, mais raconte tout ce qui fait le plus mal, ou parfois tout ce qu’il fait le plus de bien. C’est à partir de ces quelques épisodes-clés que se manifeste toute sa lucidité (ou sa sincérité, si l’on préfère) et la finesse de son analyse. C’est au travers de toutes ces obsessions (dont j’ai parlé plus haut) qu’il parle de ce qu’il a mis dans une sorte de prison mentale ― principalement par l’intermédiaire du père ― et qui a continué de le poursuivre ; mais aux travers desquels il a aussi fini par se libérer un peu : ces thématiques sont son tourment, sa respiration, son regard d’acier bleu et dur.



C’était le paysage qui lui convenait, le vrai milieu de sa nature : des îlots stériles, rocailleux, de terre grisâtre, avec des forêts de pins, jetés sur de grands fjords agités, avec la mer infinie à l’arrière-plan, à une distance suffisante



Lu du 6 au 15 mars 2020. Traduit du suédois par Camille Polack. 224 pages – Folio (Gallimard)

Elouan
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le 17 mars 2020

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