Plus que son best-seller Shining, Le Fléau est pour moi le premier grand roman de Stephen King, une oeuvre aussi ambitieuse et foisonnante que casse-gueule et balourde par certains aspects. Inspiré dans un premier temps par l'affaire Patty Hearst, Le Fléau, ébauché une première fois en 1969 dans la nouvelle Night Surf, va devenir quelque chose de beaucoup plus grand, de plus complexe.
A travers ce délire post-apocalyptique, l'auteur de Carrie nous livre sa propre version contemporaine du Seigneur des anneaux, confronte, comme l'avait fait Tolkien en son temps, les forces du bien au mal le plus pur, le plus absolu, pour une gigantesque bataille à ciel ouvert qui n'est finalement rien d'autre qu'un regard aussi humaniste qu'amer sur notre monde.
Redistribuant les cartes à partir d'une épidémie décimant la majorité de la population, Stephen King renvoi directement aux fondements même de son propre pays, imagine en quelque sorte les nouveaux Pères Fondateurs d'une Amérique se reconstruisant à partir des cendres d'un passé peu glorieux. L'écrivain en profite également pour s'interroger sur la foi, sur les croyances de tout un chacun et surtout, sur notre tendance à récupérer toute religion dans le but de servir nos propres intérêts.
Gérant parfaitement son ambiance apocalyptique, prenant son temps pour esquisser des personnages marquants loin de tout manichéisme (même si j'ai personnellement eu du mal avec Fran, trop cucul à mon goût), Stephen King recrée sous nos yeux un monde malade et fascinant, donnant à notre imagination de quoi carburer à plein régime à partir de situations délicieusement malsaines et flippantes.
Si Stephen King peut se vanter d'un véritable talent d'écriture, il est cependant dommage qu'il finisse par se mordre un peu la queue à mi-parcours, victime de la page blanche comme il l'avouera lui-même. De passionnant et terrifiant, Le Fléau fini par devenir dans sa seconde partie un brin lourd (l'aspect théologique en premier lieu) et interminable, l'auteur ayant visiblement toutes les peines du monde à conclure efficacement son foisonnant récit.
Bien qu'imparfait et beaucoup trop long (King aura d'ailleurs l'occasion d'inclure dix ans plus tard des chapitres refusés par l'éditeur à l'époque de sa sortie en 1978), Le Fléau est un roman d'une ambition qui ne peut être que saluée, l'oeuvre colossale d'un auteur capable du meilleur comme du moins bon, et qui regroupe ici les deux facettes de son travail.