Deux recueils hantés par une solitude qui n’est pas seulement désir de l’autre absent mais aussi séparation d’avec le monde, le vivant. En effet, les pages sont traversées de voix qui, craignant de se faire entendre, semblent s’anéantir dans un silence angoissant, symbole d’un état où l’échange est impossible. C’est pourquoi la mort, dont la présence dissolue fait écran à la vitalité, envahit les poèmes, interrogeant le secours vain des autres face à la certitude du néant.
Pourtant, si une inquiétude rôde dans les vers, la nature pénètre dans les espaces clos, intimes, et en particulier dans les chambres, amenant une autre forme de présence. Ainsi, les fleurs sur les papiers peints ont un (impossible) parfum rassurant dans « Les fleurs du papier de ta chambre », les défunts cherchent avant tout à saisir à nouveau la croissance des plantes et les mouvements des eaux. Le poète semble alors attentif à une volonté cachée de la nature, animant les éléments immobiles qui s’élancent et se déplacent secrètement. Dans l’intimité, la nature est pleine d’une harmonie que ne trouble, finalement, que les souvenirs ou les tourments humains.
L’homme prend parfois la dimension du cosmos, trouvant dans les frémissements des arbres des ressemblances avec ses désirs et ses pensées. Mais d’un même mouvement, il s’égare, éloigné des autres, devient roche inerte au milieu du monde minéral : en prenant place parmi les astres, il n’est plus compris de ses pairs. C’est pourquoi la solitude se mue également en un sentiment d’étrangeté à la Terre et prend la forme d’une errance qui creuse une distance irrémédiable, entraîne une marche forcée dans un monde où tout est méconnaissable.
Le locuteur mène alors une quête désespérée du familier qui prend le visage des journées et des amours perdues. Or, la mémoire heureuse se brise sur les rêves, faux espoirs qui n’enfantent que des nuages insaisissables. « Les amis inconnus », c’est la révélation de liens subtils, d’une blessure mystérieuse qu’on n’identifie pas mais qui relève d’une conscience de l’autre devenu double menaçant, à la fois présence fantasmée et absence fantomatique. C’est pourquoi, souvent, l’autre disparaît, effacé à la fois par la lumière du jour et l’envahissement des arbres, du ciel.
Reste alors l’énonciateur, seul, en prise avec son cœur, avec son âme, qui s’échappent et défont les frontières du corps. Cependant, la solitude, c’est aussi la peur et l’absence à soi, les miroirs qui ne renvoient plus aucune image et une disjonction incompréhensible de soi-même. Les mouvements des arbres, les passages des autres sont donc aussi le reflet d’un paysage intérieur menacé par le vide, la désertion de soi-même. Ainsi, ces recueils reposent sur une méditation solitaire, mais également la modernité d’un langage quotidien qui tend à la simplicité en se purgeant notamment des effusions lyriques, permettant un désespoir léger qui exprime avant tout une déréalisation et un sentiment d’étrangeté à tous et à tout.