J'ai un peu de mal à savoir ce que je pense de ce roman, je dois dire. Il est en effet très intéressant du point de vue de la forme, mais le contenu est un peu difficile à saisir : il s'agit ici d'un simple adultère qui tourne mal , mais dont la narration et les motivations sont rendues presque mystérieuses par un jeu de miroirs et non-dits assez déroutant. Etre soi-même ému par ce récit est une autre histoire...
Il est certain que cette histoire banale est le prétexte d 'un bel exercice d'écriture: un auteur publie un poème à propos d'un chasseur rencontré au hasard dans la montagne. Ce chasseur lit le poème, se reconnaît et envoie une lettre à cet auteur. Dans la lettre de cet anonyme, se trouvent aussi trois lettres adressées au chasseur. Trois femmes décrivent dans ces lettres une situation d'adultère dont s'est rendu coupable le chasseur avec la cousine de sa femme. C'est assez subtil tout cela, car on découvre la situation au travers de la perspective de femmes qui toutes ont à découdre avec cet homme dont nous ne savons rien, hormis qu'il cherche à "être compris complètement" par l'écrivain. Cela donne un ton particulier à l'oeuvre, qui semble tourner autour d'un personnage manquant et pourtant peu à peu reconstruit dans les échanges.
C'est un ouvrage japonais, de 1949 qui plus est, et je n'étais donc guère surpris d'être un peu désarçonné par le pathos aggravé de cette relation adultère. "Perdre la face " est au Japon un très sérieux problème pour chacun, être dévoilé en situation d'adultère familial est donc une terrible épreuve. Cette histoire pourrait donc être d'une grande lourdeur et pourtant Inoué arrive à insuffler une magie inattendue à son récit. On admirera de nombreuses scènes comme figées dans le temps et décrites en détail et sous divers angles par les protagonistes elles-mêmes. Ainsi la vision d'un pagne révèle la mort future de la maîtresse, un fusil de chasse est pointé pour une éternité sur le dos de la femme légitime de l'amant, et comme il sied à un roman japonais, une scène étrange se construit autour d 'un bateau en flamme annonciateur de désastre. Il y a de la poésie dans cette histoire banale...
Vous pourriez être peut-être surpris(e) par l'accent mis sur la notion de "péché" (que j'aurais crue moins prégnante là-bas que chez nous), par l'étonnante modernité de Midori, la femme qui annonce son divorce avec une désinvolture qui contraste avec le drame et enfin par la violence du sentiment de culpabilité qui habite la maîtresse . Heureusement il y a de l'émotion à lire en filigrane cet amour interdit qui a réuni deux amants dans un hôtel de montagne (même si je n'y vois pas ce romantisme échevelé que certains y lisent) .
Une lecture complexe donc, par sa forme épistolaire et ses enchâssements gigognes, très (trop?) élaborée dans son style, et qui danse autour d'un centre absent, cet homme au fusil de chasse, qui semble appeler notre jugement en nous laissant je trouve bien peu d'indices pour conclure. Je recommande avec précaution...