Écrit en 1955 par un auteur de 18 ans en pleine possession de ses moyens, Le gambit des étoiles s'inscrit dans le Space Opera mais ne cesse d'en pervertir les codes jusqu'à se déployer dans une immense réflexion philosophique sur la place de l'humain dans l'univers, plus complexe qu'elle n'y paraît.
Loin des codes de l'époque, Jerg Algan n'est pas un explorateur enthousiaste à la Kirk, il hait l'espace et les voyages stellaires. Le moteur de sa vie n'est pas le mystère, la découverte, mais la haine. Loin des équipes plus ou moins soudées, c'est un loup solitaire. Les mondes qu'il découvre ne sont ni merveilleux ni terrorisants... mais juste vides, chiants et ternes. L'Humanité conquiert l'espace, mais ses colons ne forment qu'un théâtre d'ombres nihiliste. Il y a bien une autorité politique, mais qui alimente son flou jusqu'à ses occupants, etc.
Klein décrit à merveille la pression, la solitude, le temps qui s'étire jusqu'à la lenteur la plus infinie, qui détruit ou assèche quiconque voyage dans l'espace. Surtout, il possède un authentique sens du mystère qui pallie à son renoncement quasi total à l'action. Rien n'a l'air de se passer, mais le livre demeure un page-turner redoutable tant ambiance et mystère captivent sans répit. Le roman est semé de plusieurs morceaux de bravoure comme ce chapitre où l'on explore l'intégralité de l'univers hors du temps, ou un dialogue Homme-Machine exploitant avec brio les lois d'Asimov, ou un extrait qui anticipe de 27 ans sur le "Tears In Rain" de Blade Runner...
Ce refus de l'action pourra rebuter, l'absence totale de femmes (sérieux, on se demande même si elles existent) fait que le livre accuse un peu son âge. Mais son chapitre final est le point final majestueux d'une réflexion humaniste d'abord pessimiste puis plus ambiguë, nous laissant au seuil de quelque chose de grand, d'infini, d'insaisissable. De la SF française de haut vol.