Il m’en aura fallu du temps pour lire enfin Le général Enfer, troisième et dernier opus du cycle « Fenryder » d’Alec Covin : bien des années après avoir quitté États primitifs, dont le dénouement drôlement sombre réhaussait à lui seul l’intérêt d’une suite, il va sans dire que curiosité et envie étaient de mise. Quel tomber de rideau final pour Sarah et ses infortunés consorts, si tant est que l’auteur poursuive l’histoire en les incluant au premier plan ?
À la différence de Les loups de Fenryder, à part à sa manière, Le général Enfer reprend bel et bien dans les pas de son prédécesseur, ellipse temporelle ou non : des années ont passées depuis la fuite éperdue de Sarah et Tim, permise par le sacrifice d’un Forrest promis à la perpétuité carcérale, période durant laquelle nous comprenons que les démoniaques Loups n’ont pas chômé... loin s’en faut. Toute la question était donc de savoir, de surcroît au sortir d’une telle débâcle, comment nos « héros » du commun parviendraient à contrecarrer les ambitions d’une société secrète toute-puissante (dans tous les sens du terme).
À ce titre, le roman ressemble davantage au second qu’au premier, lequel était davantage versé dans l’épouvante-horreur primaire. Ici, l’horreur n’est nullement aux abonnés absents mais elle cède distinctement la place au thriller de grande envergure, le prisme politique et complotiste induit par les Loups allant de pair avec celui, hors-la-loi et isolé, de leurs adversaires en sursis. Le brio avec lequel Covin traite pareil tableau complexe est dès lors évident, Le général Enfer paraissant de fait plus abouti (et maîtrisé) dans ses développements et sa galerie secondaire (quelques nouvelles têtes, notamment « fédérales ») que ne pouvait l’être États Primitifs.
Un constat n’excluant donc pas une épouvante se rappelant souvent à notre bon souvenir : l’introduction dans la station-service, efficace à souhait, donne d’ailleurs le ton d’emblée, sorte de coup de semonce préfigurant des drames à venir. Comme craint, rien ni personne ne sera vraiment à l’abri, l’auteur jouant ainsi brillamment avec nos nerfs sans que rien ne semble pouvoir l’arrêter : nous partagerons ainsi, notamment, la peur dévorante d’un Kingston sautant dans le premier avion venu pour « secourir » ce qui restera des Baldwin... une démarche bouleversante car à la fois futile et ô combien importante en finalité.
Profondément meurtris par les dommages d’une lutte inégale, les emblématiques Tim, Sarah et compagnie ne manquent pas de favoriser l’empathie d’un spectateur lui-même pris au piège : à quoi bon ? Pourtant, avec une certaine ingéniosité, le récit va bel et bien y parvenir : quoique douteux (ce qui est légitime), le concours de Joe Koil est la pierre angulaire de Le général Enfer, son double (ou triple, voire quadruple !) jeu nourrissant une intrigue pleine de rebondissements, de fulgurances mémorables (Hasty) et d’un espoir sur courant alternatif.
Empreint d’une cruauté que nous savourons malgré nous, le roman se dévore ainsi d’une traite, tout nous conduisant au seuil d’un ultime affrontement voué à sceller le destin de toute une nation (et au-delà).
Fort heureusement, Covin ne va pas louper le coche en nous resservant une louche de volte-face faisant voler en éclats nos maigres certitudes, quoique la tonalité de sa conclusion diffère fondamentalement de celle d’États primitifs.
Mais cela serait vrai si, malin comme il est, Le général Enfer ne nous dispensait pas ci et là de l’ambivalence de bon aloi : car si le devenir ô combien frissonnant de Joe Koil en compose les toutes dernières pages (que nous relirons avidement), il convient aussi de relever que les ambitions des Loups, si elles n’étaient pas doublées d’un machiavélisme pervers et destructeur, n’étaient pas aussi manichéennes que de prime abord. Le discours sécessionniste et les messages de « paix » portés par March en Moyen-Orient abondent clairement en ce sens.
Nous regretterons enfin, au bout du compte, les libertés que s’octroie le roman vis-à-vis des principes fantastiques préalablement instaurés, le(s) pouvoir(s) des Loups évoluant parfois de façon commode puis, surtout, le concept du Vent-Fort semblant se contredire : entre lui et Fenryder, c’est le paradoxe de l’œuf et de la poule revisité ! Toutefois, voilà de menus reproches n’entachant en rien la réussite d’un cycle fantastique n’ayant rien à envier à ses cousins anglophones.