Prendre la famille comme objet d’étude afin de souligner son rôle en tant qu’institution économique et, dès lors, les inégalités produites entre les membres qui la composent, voilà un des thèmes centraux de cet ouvrage, fruit des recherches conduites depuis plusieurs années par les deux autrices, seules, en duo ou avec d’autres sociologues.
De la même manière que l’amour peut faire mal, la famille n’est pas nécessairement un havre de paix désintéressée, contribuant à l’épanouissement de tous ses membres. La cellule familiale est aussi un lieu de pouvoir. Dans ce cadre, elle est appréhendée comme "une instance primordiale de production, de circulation, de contrôle et d’évaluation de la richesse" (p. 50), cette dernière pouvant avoir une composante économique, culturelle, symbolique...
Céline Bessière et Sibylle Gollac se concentrent sur la composante économique, afin de mettre en évidence des stratégies familiales de reproduction, passant par des arrangements économiques familiaux, qui "s’avèrent clairement défavorables aux femmes" (p. 89). Le propos articule alors des données générales (concernant principalement la France métropolitaine) ainsi que des résultats d’enquêtes ethnographiques pour donner à voir, concrètement, comment lors d’héritages, de donations, de divorce, les stratégies familiales – parfois accompagnées par l’action des notaires et autres avocats – vont tendre à privilégier certains membres de la famille malgré les lois existantes.
Les passages sur les professionnels du droit permettent de mettre en évidence qu’ils sont bien des agents sociaux comme les autres, avec leurs croyances, leurs affinités (les notaires et leur attachement à la transmission du patrimoine professionnel) qui aboutissent parfois à des héritages ou divorces foncièrement inégaux mais, pour autant, conformes à la loi. Et si des prestations compensatoires, des pensions alimentaires existent (suite à une séparation), il s’agit d’un véritable chemin de croix pour les obtenir, face auquel les individus ne sont pas sur un pied d’égalité. Et quand la justice s’en mêle ce n’est pas toujours pour le résultat que l’on attendrait (voir p. 199-267 et plus spécialement p. 212-220 et p. 255-261).
Rédigé dans un style accessible, sans céder à la rigueur scientifique 1 cet ouvrage croise sociologie de la famille, du droit, du genre, économique et constitue une lecture qui (dé)montre, s’il en était besoin, ce que la sociologie peut apporter à la compréhension de bien des mécanismes sociaux. S’il doit y avoir un regret, ce sera l'absence d'une bibliographie générale en fin d'ouvrage.
1 Une illustration simple mais assez révélatrice à mes yeux : lorsque les autrices évoquent des résultats obtenus "toutes choses égales par ailleurs" elles précisent, la plupart du temps, ce que sont ces "choses" tenues pour égales dans l'analyse statistique.