Les ritournelles près de finir rêvent de coda symphoniques
Ma chère Catherine,
Le voilà donc achevé, ce roman auquel j'ai résisté si vaillamment pendant toutes ces années ! Depuis hier, le mal est réparé, et même si j'en sors avec une énorme boule au ventre, je ne regrette rien. J'avais en effet lu à droite à gauche qu'il était d'une noirceur absolue ; la préface de David Camus débute d'ailleurs par ces mots : "j'ai détesté ce livre. Je l'ai haï ; à un point que vous n'imaginez même pas." Je me doutais donc qu'il s'agissait d'un grand roman (Prix Rosny Aîné 2005, Prix Bob Morane du meilleur roman francophone 2006, et Grand Prix de l'Imaginaire 2007 tout de même), mais qu'il ne laissait pas indemnes ses courageux lecteurs. J'ai donc temporisé, différé, fui pendant longtemps. Mais j'ai fini par plonger, cette semaine.
Je ne regrette rien, comme je te l'ai déjà dit.
Tu comprendras mieux que quiconque que je ne pouvais choisir une autre forme que cette courte lettre pour partager avec toi mon sentiment sur ton oeuvre. Tu l'as construite comme un hommage aux "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar, pour laquelle tu ne caches pas une admiration sans bornes. Et je dois t'avouer que ta postface très éclairante sur ta façon d'écrire, sur les parallèles que tu établis (très modestement !) entre les 2 oeuvres, me donnent bien envie d'aller voir du côté de la grande Académicienne. Je concède que je n'y serais peut-être pas allé de moi-même avant longtemps : tu peux donc être doublement fière de toi.
Pour ceux qui s'immisceraient dans cette correspondance privée, permets-moi de faire une petite parenthèse, et de leur expliquer brièvement de quoi il s'agit. "Le goût de l'immortalité" se présente comme une lettre qu'écrit un vieille femme à un ami ("Mon cher Marc"), dans laquelle elle raconte une partie de sa jeunesse, au début du XXIIe siècle. Le monde est devenu bien plus laid qu'il ne l'est aujourd'hui, et toutes les menaces que nous voyons poindre se sont hélas accomplies. Pourtant, les humains, dans ce futur pas très lointain, sont "comme des ritournelles près de finir qui rêvent de coda symphoniques" (est-ce un bref clin d'oeil à P. K. Dick, chère Catherine ?) : pour entretenir leurs rêves d'immortalité, ils sont prêts à tout. "La vie est une drogue terrible"... C'est un texte bien sombre, comme je l'ai déjà dit.
Pourquoi donc est-ce que je ne regrette rien ? Parce que ta plume est belle, lumineuse, si agréable à lire. Et le doux détachement que tu mets dans l'écriture de ce récit lui confère une force redoutable. Ensuite, parce qu'il me fait aimer toujours plus la Littérature, celle qui est intelligente, et source de réflexion sur notre monde et ses problèmes. Je doute que cela suffise à nous éviter l'accomplissement de tes sordides prophéties, mais on peut au moins l'espérer. L'espoir est une drogue terrible.