Ilaria naît en 1699, dans une Venise à peine remise de la peste où « l’on s’aimait avant de mourir ». Ses parents Francesca et Giacomo Tagianotte, marchands d’étoffes, ont perdu trois de leurs enfants à la naissance. Alors, cette sixième fille qui leur arrive, Francesca l’a tout de suite su, elle la destine à chanter parmi les anges de la Pietà, pour que sa voix s’élève jusqu’au paradis. Ainsi commence le roman d’apprentissage musical et sentimental né de la double passion – le grand feu – de Léonor de Récondo pour le violon et l’écriture.
Financée par la République de Venise, la Pietà accueille des filles abandonnées à la naissance, parmi lesquelles se glissent quelques jeunes filles dont la riche famille peut financer la formation, pour en faire, sous l’égide des plus grands maîtres, des chanteuses et des musiciennes accomplies que l’on accourt écouter lors des concerts qu’elles donnent, cachées et tout de blanc vêtues, derrière les grilles de leur hospice. Lorsqu’Ilaria y grandit, le maître de violon et le compositeur principal de la Pietà est Vivaldi. C’est à son école qu’elle découvre, toute jeune, le grand feu qui ne cessera plus de l’habiter, cet « art qui se façonne dans une addition d’âmes » : la musique. Sa voix d’or à elle, ce sera celle de son violon.
Mais, alors qu’à ses rêves d’évasion, jusqu’ici circonscrits par sa réclusion à leur seule expression musicale, quelques sorties chaperonnées par la riche famille de son amie Prudenzia viennent donner une nouvelle forme, amoureuse cette fois, un autre feu s’allume, qui pourrait aussi bien nourrir le premier que la consumer tout entière. Ilaria a désormais quinze ans. Pour ses semblables sans appui familial, l’avenir est au couvent, sauf pour celles, assez rares, que l’exception de leurs talents permet de se produire à l’extérieur, et parfois, d’être demandées en mariage...
Dans cette Venise d’eau, elle-même enfiévrée six mois par an par la frénésie du carnaval, le roman d’apprentissage se fait incandescent. Du feu de la musique à la passion amoureuse, d’une plume qui palpite et cascade en vagues musicales, Léonor de Recondo investit sa propre expérience, émotionnelle et sensorielle, et, jusqu’à son impressionnant bouquet final, nous enchante d’un récit habité, ardemment romanesque, féministe aussi. Quand la musique et l’écriture s’épousent si joliment, l’on ne résiste pas au feu de la lecture.
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