Nouvelle saga activée pour Pierre Lemaitre et, d'ores et déjà, un énorme succès commercial qui s'annonce. Mérité, vu la qualité du nouvel opus, Le grand monde, tout à fait dans la lignée d'Au revoir là- haut et de ses successeurs, dans un registre proche des grands auteurs populaires du XIXe siècle. Il est facile d'imaginer le livre publié en feuilleton dans un quotidien français de l'époque, au tirage que ne peuvent plus atteindre nos journaux papier, en voie d'obsolescence. Beyrouth, Paris, Saïgon : trois villes pour planter le décor en une année 1948 marquée en France par des affrontements violents entre grévistes et forces de l'ordre, par la chute répétitive des gouvernements et par le début de la scandaleuse affaire des piastres, du côté de l'Indochine. Lemaitre se sert habilement du contexte social français et de la situation délétère indochinoise pour poser quelques jalons des intrigues parallèles du roman et y ajoute des événements fictifs, faits divers principalement, pour épicer sa délectable sauce narrative. Mais, comme toujours chez lui, c'est l'étoffe de ses principaux personnages qui fait la différence, tous amoureusement mitonnés. Ils forment une famille dysfonctionnelle (les Pelletier), comme on ne disait sans doute pas encore en 1948, avec un richissime entrepreneur installé au Liban, son épouse, trois fils et une fille, dont le romancier va raconter les destins en alternance, durant quelques mois de cette année 1948. Quels que soient leurs défauts et leurs agissements (y compris criminels), Lemaitre a le talent de ne jamais nous les rendre haïssables, cherchant plus à les comprendre qu'à les condamner. C'est avec virtuosité que l'auteur en fait le portrait, non sans une ironie mordante, son talent s'exprimant aussi avec délectation sur les personnages secondaires, croqués à la façon d'un caricaturiste avec des descriptions très visuelles. Il se passe beaucoup de choses dans ce roman : des meurtres, des prévarications, des drames, des histoires d'amour, sans que jamais l'accumulation de péripéties ne semble outrancière puisque faisant partie d'un récit plus grand que nature où l'humour et le sens de l'absurde ont droit de cité. Ce qui fait le prix de ce grand monde comme de ses devanciers, ce sont aussi l'abondance des détails qui font mouche, les clins d’œil au lecteur et cette manière inégalable de nous immerger dans un univers "exotique" : les fumeries d'opium de Saïgon, une savonnerie libanaise ou la rédaction d'un journal du soir parisien. Ah, encore une chose et pas la moindre : la façon dont Lemaitre rattache son roman à sa trilogie précédente, à peu près aux 2/3 de son récit, est un pur prodige. Seul reproche à faire à l'auteur : nous obliger à attendre plusieurs mois pour savoir ce que vont devenir les membres de la famille Pelletier.

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le 11 févr. 2022

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