Le lièvre de Vatanen est le livre le plus connu du finlandais Arto Paasilinna, ce qui tombe bien, c’est aussi l’un de ses meilleurs. Publié en 1975 dans le Pays des cent mille lacs (et oui), c’est le premier livre traduit de l’auteur en France, une petite goutte d’eau parmi la trentaine de traductions. La France a un rapport privilégié avec Paasilinna, continuant à traduire l’oeuvre d’un auteur qui a eu la mauvaise idée de mourir en 2018.
Le roman est d’ailleurs totémique de son oeuvre, pas seulement à cause de sa popularité mais aussi parce qu’on y retrouve un certain nombre des thématiques de l’auteur. Quand on le lit, c’est une grande bouffée d’air pur de la nature finlandaise qu’il nous offre, avec un petit sourire en coin.
La vie de Vatanen va changer après avoir percuté un lièvre en voiture. Il va décider de le protéger, et en même temps de parcourir la Finlande, rompant les ponts avec son ancienne vie. Sa femme et son employeur vont le chercher, avant d’abandonner, Vatanen sera libre.
Quel sera son but ? Vatanen l’ignore, et ne se pose pas la question. Il avance. A son rythme. Il rencontre des personnes qui ne le comprendront pas, d’autres qui seront ses amis, le temps d’escales. Vatanen erre, mais la civilisation n’est jamais trop loin, et le rattrape parfois. Ses rencontres seront celles de personnes décalées et différentes comme lui, dans une vaste gamme, qui vont d’un bûcheron filou avec qui il va revendre du matos militaire de la guerre mondiale extirpée d’un lac, un prêtre qui va s’enflammer face à la présence de ce lièvre dans son église, un autre qui voudrait le sacrifier pour faire renaître les cultes ancestraux finnois ou des officiels sans le sens de la mesure.
Entre temps, Vatanen, seul ou accompagné, apprendra à renouer le contact avec la nature, posant des pièges, apprenant à survivre dans ces terres parfois hostiles. Ce retour au vert n’est pas idyllique, la nature est cruelle, l’homme aussi, mais Vatanen semble trouver une sérénité nouvelle, le lièvre toujours à ses côtés, comme un témoin ou comme l’acteur de cette nouvelle prise de conscience.
De son adolescence à ses 20 ans, Arto Paasilinna a vécu de petits boulots principalement forêts, et qui se retrouvent ici. Cette vie, l’auteur l’offre à son personnage, mais nous rappelle aussi l’importance de certaines traditions, de certaines manières de vivre ainsi.
Pour autant, il ne s’agit pas d’un brûlot engagé, d’un manifeste pour le retour à la nature. Arto Paasilinna relate, il commente peu. La structure du livre est à l’image de celle de Vatanen, allant d’un point à un autre, d’une rencontre à une péripétie, que le personnage principal affronte toujours avec une certaine distance, les émotions les plus fortes ne prenant place que dans les moments les plus marquants. Cette avancée sans fin n’est pas une fuite en avant, mais on pourra regretter une conclusion un peu abrupte, comme si Paasilinna ne savait pas comment terminer son histoire. Nul doute qu’il aurait pu trouver encore de nouvelles rencontres et mésaventures à faire connaître à son personnage.
Si l’écriture est assez simple, à moins que ce ne soit la traduction qui donne cette impression, le livre est malgré tout intrigant, nous emmenant toujours vers un nouvel endroit et de nouvelles promesses. Le décalage de certains personnages donne un certain côté cocasse, tandis que certaines paroles échangées ne manquent pas de sel. Les livres d’Arto Paasilinna sont drôles, d’un humour sans emphase, qui se niche dans les détails. Le lièvre de Vatanen est donc une lecture plaisante, pour une aventure drôle et qui ne semble pas savoir où elle va, comme son personnage. Il est appréciable de se laisser porter ainsi dans cette Finlande sauvage et à la folie (des hommes) contenue.
Arto Paasilinna est un auteur important, adapté plusieurs fois en films ou en bande-dessinée, mais seul Le lièvre de Vatanen peut se vanter d’avoir eu droit à deux films. Le premier, finlandais, est sorti en 1977, le dernier, franco-belge-bulgare, est sorti en 2006, avec Christophe Lambert, Julie Gayet et un charmant lièvre, mais le résultat est un peu maladroit.