Le Lion
7.2
Le Lion

livre de Joseph Kessel (1958)

Captivé par Le Lion de Joseph Kessel de bout en bout, qui accompagne mon quotidien depuis près d'une semaine maintenant, je souhaitais écrire cette critique pour vous engager fortement à faire la découverte de cette superbe rencontre. Cette rencontre, c'est celle d'une petite fille de 10 ans, Patricia, et d'un lion majestueux, King, dont l'amitié qui les lie reste secrète pour préserver les cœurs et les peurs. Aux portes du Kilimandjaro, dans un parc royal plus vrai que nature, Kessel nous offre une formidable fable sur la symbiose des êtres vivants. Un chef d'oeuvre.



Elle ne s'adressait plus à King : sa chanson était la voix de son accord avec le monde. Un monde qui ne connaissait ni barrières ni cloisons. Et ce monde, par l'intermédiaire, l'intercession de Patricia, il devenait aussi le mien. Je découvrais, avec un bonheur où le sentiment de sécurité n'avait plus de place, que j'étais comme exorcisé d'une incompréhension et d'une terreur immémoriales.



La force du roman de l'auteur de Belle de jour et des Cavaliers est l'immersion progressive du lecteur dans le récit. Par le biais d'un narrateur interne complètement étranger à l'environnement qui lui est présenté, Kessel met son personnage principal et le lecteur sur un même pied d'égalité. Le Lion ne raconte pas seulement la relation pure et privilégiée d'une jeune insouciante qui a élevé et dompté les élans du roi des animaux jusqu'à créer une osmose telle que les deux ont un rapport quasi familial et fusionnel entre eux, c'est aussi et surtout une ode à la tolérance et à la découverte de l'autre par le désarmement de nos préjugés. L'auteur distille tout au long de son livre une sensation de respect inaltérable qui se gagne et se mérite.


En effet, j'ai été saisi par la puissance de la fusion entre l'homme et la bête, mais davantage encore par l'idée selon laquelle il faut s'apprivoiser, peu importe ce que nous sommes et ce vers quoi nous tendons. Car en réalité, Kessel parle des animaux comme il parlerait des hommes. Le lion a au final très peu de différences avec les hommes décrits dans le livre, notamment lorsque l'on découvre la rencontre entre le narrateur et Bullit, qui se jaugent par des regards, par des détails propres à l'instinct et donc directement à l'animal (la plus belle image pour représenter cela reste encore la couverture). La relation que lui-même entretient avec Patricia, sa fille, dont la protection est sans égale, rappelle celle de l'animal. Kessel a cette intelligence de mettre l'accent sur les rencontres et les confrontations, faisant de ces chocs de personnalités, de cultures, de sensibilités et à terme de races, quelque chose de profondément universel.



L'échange, la familiarité qui s'établissaient entre le grand lion et l'homme montraient qu'ils ne relevaient pas chacun d'un règne interdit à l'autre, mais qu'ils se trouvaient placés, côte à côte, sur l'échelle unique et infinie des créatures.



Les parallèles entre le fier peuple Masaaï, l'amour maternel et les craintes de Sybil, la superficialité de Lise, l'intransigeante réalité des hommes "contre" les animaux, tant de différences et de perceptions de l'autre prouvent qu'il ne s'agit pas seulement de l'étreinte d'un lion apportée à sa seconde mère, une humaine, mais bien d'une histoire où les apparences se transforment en rugissements orchestrés par la vie, les rugissements en estime, l'estime en quelque chose de sacré.


Comment ne pas penser à Jack London, devant tant d'humanité dans le propos, lorsque Kessel parle si bien et si justement du monde qui nous entoure ? Dans leurs écrits transparaissent une réalité indubitable ; ils savent de quoi ils parlent, Kessel fut grand reporter, et ils parlent avec le cœur. Dans un style moins incisif mais sûrement plus littéraire, l'auteur du Lion fait chanter les mots entre eux, où les phrases deviennent des images et les images des sensations vécues par le lecteur. Je suis tombé amoureux de sa plume, raffinée sans aucun orgueil stylistique, dont la richesse de vocabulaire et de syntaxe me font clamer haut et fort qu'il s'agit d'une de mes plus belles découvertes de ces dernières années en littérature. Si la construction du récit reste classique, la plume, elle, abonde d'une délicatesse assez fantastique. Un sentiment noble se dégage de son histoire, une beauté qu'il raconte sans jamais la galvauder, sans jamais la profaner. Une lecture fabuleuse pour ma part.

EvyNadler

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