Le Livre d'Emma est l'histoire d'une malédiction. Une « malédiction du sang » qui remonte au temps des navires négriers, bateaux de malheur où étaient entassés des esclaves en provenance le plus souvent d'Afrique noire, partie intégrante du commerce triangulaire. Et c'est bien d'ici que naît la damnation que subit Emma, des décennies plus tard : une de ses aïeules était bantoue. « Un jour, je te parlerai en détail des négriers. Un autre jour. Là tu comprendras, tu comprendras tout. C'est dans leurs cales que tout s'est écrit, dans les plis de la mer, dans le vent gorgé de sel et dans cette odeur de sang. » Ces mots durs et pourtant authentiques – en une certaine mesure – sont dits par Emma, négresse enfermée entre les quatre murs de sa chambre d'hôpital psychiatrique à Montréal, qui s'adresse à Flore – l'interprète engagée par le médecin de la jeune femme.

« Le bleu de la mer est sans limite », disait Santōka Taneda, un poète japonais. La couleur bleu est centrale dans l'œuvre de Marie-Célie Agnant. Si elle est ordinairement connotée positivement, dans ce roman elle renvoie au pigment de la peau associé au noir. Les négresses sont des « négresses à peau bleue », cette teinte de l'épiderme étant un élément fondamental dans les Caraïbes, facteur déterminant dans la hiérarchisation sociale. Si sa mère Fifie est chabine – c'est à dire une afro-caribéenne à la peau claire, Emma n'a pas eu cette chance : elle est née avec la « peau bleue », intense comme la nuit et le fond le plus intime des océans. Emma, dès sa naissance, doit apprendre à vivre avec le poids de la malédiction qui pèse sur sa famille. Vivre, ou plutôt survivre, comme elle l'a fait en sortant du ventre de sa mère, seule survivante d'une naissance quintuple.

Le livre s'inscrit dans un circuit médiatique au centre duquel se trouve Flore. Emma, bien que maîtrisant le français à la perfection, refuse de s'exprimer en cette langue. Elle ne veut pas se livrer en français : cette langue à briser la seule échappatoire à laquelle elle pouvait prétendre, celle de la culture. L'auteure pose alors l'intéressante question de l'identité à travers la langue.
La construction du roman de Marie-Célie Agnant pourra dérouter plus d'un lecteur. Cependant, son écriture intime, poétique et parfois drôle saura mettre en valeur toute l'importance de son récit. Si fictive, l'histoire n'en est pas moins réaliste, basée sur des faits historiques. Afin de percer le « mystère Emma », le meilleur moyen reste celui de découvrir l'œuvre par soi-même...
Sultan
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le 14 nov. 2011

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