La Gueule du Saurien

On a parfois voulu voir en Job une illustration de la promesse des pluies qui toucheraient aussi le juste, dans un renvoi de la symbolique de ce livre à l'inconnaissabilité fondamentale de la jurisprudence divine, lisant ainsi l'épisode de manière presque inquiétante comme une injonction menaçante à se rappeler que peut Dieu peut prendre en proportion qu'il donne.

Mais Job – et dans une moindre mesure ses trois compagnons – est un pécheur objectif, et ce bien avant qu'il ne s'égare dans sa litanie ingrate. Job est un pécheur de l'Ego, mais pas sur le mode hybris qui sera celui du vitalisme grec ; sur un mode nettement plus contemporain de notre approche du lien social.

Job, on le sait en achevant le livre, n'a pas connu Dieu avant d'en subir les affres et la correction ultime. Job, avant cela, croit en une manière extrêmement contractuelle d'envisager son rapport au divin. Job croit en une économie cyclique et vertueuse de la rétribution vertueuse où les faveurs dont il est baigné se conçoivent en double entrée à la fois comme des causes explicatives et des salaires au rôle de bienfaiteur qu'il occupe au sein de son petit monde. Job prie comme on spécule et rend grâce comme on investit.

La double épreuve à laquelle Dieu permet Satan de le soumettre est intéressante, car Job surmonte un premier coup pour mieux succomber à un second qui nous éclaire sur le moteur de la mauvaise compréhension du lien à Dieu que montre le patriarche. Si Job parvient à encaisser la destruction de tout ce qui fait sa prospérité matérielle en lui étant disjoint, il ne sait accepter a contrario la fêlure qui vient menacer son Ego de l'intérieur lorsque c'est son propre corps, sa propre identité, qui est touché. La deuxième attaque de Satan le sape en effet sur le fondement de ce qui construit son rapport avec le monde : sa croyance en la capacité de se déterminer seul, en utilisant la puissance de son Je comme arbitre.

Job ne pèche pas tant par ses plaintes iniques contre un divin qui l'aurait émotionnellement repoussé qu'en voulant affirmer sa capacité à être le juge : prétendant disputer un duel rhétorique face à Dieu dont il se sent capable de contrecarrer les arguments, Job est critiqué bien sûr comme disputateur démesuré dans une suspicion face à la parole déjà pré-paulinienne mais certainement plus encore comme idolâtre de l'individu.

Job pense que sa faveur le rend en capacité de devenir le juge ; mais, l'avertit l’Éternel, c'est s'engager dans la gueule du crocodile au corps à corps.

Job est un mythe libéral.

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L'injonction de son histoire opère, comme toujours dans les Écrits, à bien des niveaux de méta et de renvois : l'une de ces dimensions importantes, c'est que nous devons cesser de penser pouvoir parapher une économie avec le Seigneur. Y compris lorsque l'on se demande quelle moralité tirer de l'aventure de Job lui-même.