Assidu à lire les œuvres complètes de Kafka pendant le confinement, j'ai éprouvé le besoin de respirer un peu... bref, de lire d'autres auteurs... De même, j'interromps provisoirement ma "série de critiques de Kafka" (une quinzaine de titres), pour rendre compte d'autres écrivains. Je reviendrai à Kafka cet été entre deux voyages.
Jabès publie à partir de 1963 un cycle de sept tomes (1963/1973) : "Le Livre des questions (I)" avec : "Le Livre des questions", "Le Livre de Yukel", "Le Retour au Livre". Et "Le Livre des Questions (II)" avec : "Yaël", "Elya", "Aely", "El, ou le dernier livre". Aujourd'hui, je ne parlerai que du premier des sept tomes.
Des rabbins questionnent le Livre, s'interrogent sur la destinée humaine, l'exil, l'holocauste des Juifs et sur la littérature.
"Mes livres sont faits pour être lus, puis pour être dits ; c'est pourquoi je les appelle des récits." ("Nous sommes unis par tous les vocables dont nous sommes le vœu." Reb Veil.)
"*L"homme étant, à la fois, être, non-être et sur-être l'incarne jusqu'au-delà de la mort.*" disait Reb Grisha. Et Reb Liatob : "La première lettre tourmente l'alphabet, car elle est trois fois elle-même et trois fois les lettres qu'elle oriente." Je vous parlerai du mensonge de la foi que les flammes consument et qui n'élève pas mais s'élève en fumée.
D'autres personnages interviennent, prennent forme, soumis à la question, quasi torture d'une mémoire juive éclatée.
Il y a l'histoire de Sarah Schwall et de Yukel Sérafi : "Le roman de Sarah et de Yukel, à travers divers dialogues et méditations attribués à des rabbins imaginaires, est le récit d'un amour détruit par les hommes et par les mots. Il a la dimension du livre et l'amère obstination d'une question errante."
Le conflit est ontologique - donc permanent. Conflit entre Juifs et non Juifs, conflit entre Juifs et Juifs, conflit au sein d'une même personne, unique mais divisée.
"S'adressant à moi, mes frères de race ont dit :
"Tu n'es pas Juif. Tu ne fréquentes pas la synagogue."
M'adressant à mes frères de race, j'ai répondu :
"Je porte la synagogue dans mon sein."
S'adressant à moi, mes frères de race ont dit :
Tu n'es pas Juif. Tu ne pries plus."
M'adressant à mes frères de race, j'ai répondu :
La prière est ma colonne vertébrale et mon sang."
S'adressant à moi, mes frères de race ont dit :
""Les rabbins dont tu cites la parole sont des charlatans. Ont-ils jamais existé ? Et tu t'es nourri de leurs paroles impies."
M'adressant à mes frères de race, j'ai répondu :
"Les rabbins dont je cite les paroles sont les phares de ma mémoire. - On ne se souvient que de soi. - Et vous savez que l'âme a, pour pétale, une parole."
Cette œuvre polyphonique, envoûtante, combine roman, poésie, théâtre et essai.
Les questions se font chants d'oiseaux, que la mort guette.