"-Pensez seulement à ce qu'est un roman, dit Banaka. A cette multitude de personnages différents. Voulez-vous nous faire croire que vous connaissez tout d'eux? Que vous savez à quoi ils ressemblent, ce qu'ils pensent, comment ils s'habillent, de quelle famille ils viennent? Avouez que ça ne vous intéresse pas du tout!
-C'est exact, reconnu Bibi, ça ne m'intéresse pas.
-Vous savez, dit Banaka, le roman est le fruit d'une illusion humaine. L'illusion de pouvoir comprendre autrui. Mais que savons-nous les uns des autres?
-Rien, dit Bibi.
-C'est vrai dit Joujou."
Ce passage du Livre du rire et de l'oubli met en avant une des qualités principales que doit avoir un auteur de roman, qualité essentielle qui lui permettra de ne pas tourner en rond, celle de se mettre à la place de l'autre. Ainsi l'auteur doit essayer d'appréhender le monde selon une multitude de facettes puis essayer de transmettre les impressions qui en résultent de la façon la plus juste possible. Incontestablement, c'est ce que fait Kundera, et la crédibilité des personnages du livre du rire et de l'oubli malgré leur grand nombre attestent ce talent.
Si j'ai aimé le Livre du rire et de l'oubli, ce n'est pas forcément pour les histoire qu'il raconte car chez Kundera les passages absurdes et les rupture du récit me mettent parfois mal à l'aise, on ne sait pas toujours sur quel pied danser. Non, ce qui me charme chez Kundera c'est sa façon de sonder les choses apparemment simples de notre quotidien, simples mais qui nous laissent toutefois dans le malaise, de les décortiquer et de nous en montrer la substantifique moelle. Combien de fois lors de ma lecture j'ai souris en me disant: "oui, c'est ça, il a tout compris, il a cerné exactement ce que l'on ressent et l'enjeu qui est derrière!"
Le livre du rire et de l'oubli n'est pas un roman classique car son unité ne réside pas dans l' intrigue, elle réside dans la déclinaison de deux phénomènes humains qui se rejoignent parfois même si leur nature paraît différente. Le romancier tchèque présente différentes situations dans lesquels ces phénomènes sont prépondérants et en dessine presque une phénoménologie, mais de façon plus légère, car la littérature a cette qualité d'aborder des questions philosophique d'une manière bien moins ardue que les traités.
Pour le caractère malheureusement très humain de Mirek qui veut oublier une femme à cause de sa laideur, pour Tamina qui se regarde oublier son mari, pour le père de Kundera qui répète que "c'est étrange" et pour la découvert du sentiment de la listost, je recommande cette oeuvre. Mais ce serait oublier le plus important: le charme incroyable du style de Kundera dans lequel on se love en ouvrant beaucoup de ses livres.