Considéré par beaucoup comme le premier roman existentialiste, le Loup des Steppes est un ouvrage essentiel de la littérature allemande du XXème siècle. Paru en 1927, interdit sous le régime nazi, le Loup des Steppes est avant tout l’histoire d’un homme qui cherche le sens de sa vie.
Henri Haller est un homme cultivé, intelligent (trop peut-être), en marge de la société. Profondément désabusé par le monde qui l’entoure, il préfère la compagnie de ses livres et du vin à celle des hommes. Comme beaucoup d’autres, il ressent une relation d’amour-haine envers les bourgeois qu’il qualifie de tièdes et bien-pensants; mais s’il les rejette, les méprise de toute son âme, il ne peut s’empêcher de vouloir ardemment leur innocence, leur contentement bon enfant. Parfois, il ne peut s’empêcher de participer au jeu social et de cacher le loup qu’il possède en lui; mais très vite le naturel revient au galop.
“(…) rien ne m’inspire un sentiment plus vif de haine, d’horreur et d’exécration que ce contentement, cette bonne santé, ce bien-être, cet optimisme irréprochable du bourgeois, cette volonté de faire prospérer généreusement le médiocre, le normal, le passable.”
Position que nombre d’entre nous pouvons comprendre; ce conflit, ce mépris qu’Haller ressent envers l’ordre établi et de ceux qui en sont garants, le respect bonhomme des règles absurdes et médiocres, l’encensement de l’ordinaire, est peut-être le vôtre. Et il résonne, avec une brillante modernité, dans l’esprit des lecteurs d’aujourd’hui.
C’est que Henri Haller cherche désespérément le sens de son existence. Il tente d’obtenir ce qu’il pense être l’unicité de son moi intérieur, mais est persuadé que le « loup des steppes », l’animal qui est en lui l’empêchera à jamais d’en fixer les barrières, ni de s’épanouir en société. Frustré de ne pouvoir comprendre son essence profonde, il se distrait alors dans le cadre particulier des années 20. Cabarets, jazz (qu’il méprise bien évidemment, face à la musique classique qu’il adore), balades sans buts… Et réussit à oublier brièvement ses ruminations, mastications mentales par l’ingération de drogues et autres alcools. Jusqu’à la découverte d’un étrange fasicule et d’une jeune femme étonnement semblable à lui même…
Ce livre est plus qu’un roman initiatique. Il est un réel traité de philosophie. Les questions que se posent dépressifs, marginaux, névrosés ou tout simplement les êtres humains en quête du sens de la vie s’y retrouvent. La contradiction de celui qui rejette son monde mais s’y retrouve pourtant lié par son éducation et son enfance, la négation de la multiplicité de la nature psychique de l’homme, la fuite de la réalité… Tant de thèmes qui paraissent familiers.
Parce que ces questions sont intemporelles, le Loup des Steppes est incroyablement moderne. Il est une sorte de guide, entre fiction et discussions psy et philosophiques. Celui qui s’est un jour demandé ce qu’il faisait sur terre et quel rapport il entretient avec la société, doit absolument lire Le Loup des Steppes. On en sort grandi, apaisé peut-être, mais avec l’espoir et la joie de sentir que les névroses existentielles existèrent toujours et que le sens de la vie se trouve peut-être là où on ne l’attend pas. La vie se suffit peut-être à elle même.
Critique publiée initialement ici :
http://soulmustsleep.wordpress.com/2013/02/27/le-loup-des-steppes-herman-hesse-1927/