C'est l'histoire d'un poète qui voulait réunir toutes les connaissances de son pays. Vyâsa était son nom. Ce poète était peut-être plusieurs hommes, nés en des terres différentes à des époques différentes. En Inde, le temps et l'espace n'ont pas d'importance et ce qui est multiple est toujours un. Aussi, ces hommes figurent dans l'histoire qu'ils racontent et ils y sont le poète Vyâsa. Vyâsa raconte l'histoire d'un grand sacrifice qui a bien failli tuer toute la race des serpents. A ce grand sacrifice, un homme raconte enfin au roi Janamejaya l'histoire de ses ancêtres qui s'entre-tuèrent durant la guerre la plus dévastatrice de tous les temps. Cette guerre est le pivot du Mahâbhârata.
C'est ainsi que naquit le plus grand poème du monde. Le plus long récit jamais écrit ou conté. Quinze fois l'équivalent de l'Iliade d'Homère. Toutes les rivières narratives du pays se jettent dans la mer épique du Mahâbhârata. L'ampleur est démentielle. Des récits s’enchâssent dans des histoires qui renvoient à des mythes rappelant les personnages d'autres contes. C'est un labyrinthe, un maëlstrom de combats, de chants d'amour, de réflexions philosophiques, de nomenclature mythologique, de préceptes royaux et de maintes autres choses encore. Toute l'âme indienne y est contenue. Pour comprendre le pays, il faut en passer par le Mahâbhârata. Jamais auparavant une terre s'était à ce point changée en lettres.
Il n'est guère possible de résumer ce poème sans en dénaturer l'esprit. Le réduire à son histoire principale, c'est le présenter comme le récit d'une confrontation pas franchement originale entre deux branches d'une même famille royale. Lui arracher ses innombrables digressions, c'est comme casser toutes les branches d'un arbre pour ne garder qu'un tronc nu et imposant. Serge Demetrian tente le compromis en fournissant la version française la plus complète à ce jour, un peu plus imposante qu'une traduction de l'Iliade. C'est beaucoup, même si ce n'est pas assez. C'est le meilleur aperçu que l'on puisse avoir d'une hydre narrative sans cesse adaptée et réadaptée en Inde, jusqu'à aujourd'hui, avec une ferveur qu'Homère et Shakespeare eux-mêmes n'ont jamais connue en Occident.
Le style n'est pas toujours grandiose. Le texte est maladroit en certains endroits. De petites contradictions habitent certains faits, certains personnages sans qu'il soit toujours possible de savoir ce qui vient du texte original et de la réécriture de Demetrian (pour le style un peu plat de l'ensemble, par contre, la responsabilité de ce dernier est évidente). Le résultat est aussi imparfait que l'humanité elle-même, et le parcours initiatique proposé est bien celui de la perfection. Ecrit en une époque où le védisme ancien se transformait en brahmanisme, où le sacrifice intérieur commençait à remplacer le sacrifice extérieur, le Mahâbhârata est une expérience sur le changement et la quête de la stabilité au-delà de toutes choses.
C'est une expérience essentielle ou une lecture sans grande importance. A vous de voir.