J’ai lu ce livre en anglais et je me suis retrouvée complètement absorbée au point où j’en oubliais parfois que je lisais l’histoire dans sa langue originelle.
Certains sont déçus par ce livre, parce qu’il n’apporte pas assez au lecteur. Notre soif d’intrigues, de secrets et de retournements de situations nous amène parfois à attendre plus qu’on ne peut recevoir, ce qui est le cas ici pour certains.


Mais c’est je pense, tout l’intérêt de ce livre que de garder ses secrets. Tout n’a pas à être expliqué, nous lisons à travers Richard Papen : ce n’est pas un narrateur omniscient qui possède l’accès au psyché et aux pensées de ceux qui l’entourent. Richard découvre, évolue, s’interroge au fil du roman tout comme nous.


Les non-dits, les détails qui restent en suspens mais jamais ne trouvent solution, font tout le charme de ce roman et créent une atmosphère énigmatique, un monde profondément visuel. Je peux ainsi citer la relation de Henry avec Julian, les motivations de Camilla, les sentiments de Francis, tous ces détails pris sur le vif, dans l’interdit ou l’embarras,... Même l’épisode de la Bacchanale avec le premier meurtre, rapportée à Richard, ne devient pas une affaire conclue. Il plane une incertitude sur tout et tous qui se maintient jusqu’à la fin et nous tient en haleine mais l’on comprend rapidement qu’il est inutile de chercher à en savoir plus. A chacun de s’imaginer, de supposer. Ce qui est, je pense, bien plus intéressant et confortant.


A travers Richard, nous, lecteurs, nous impliquons encore plus et la façon que nous avons de voir les choses reste personnelle, intime, secrète.


Le personnage qui me restera le plus, est celui de Henry. Tout comme Richard, il m’a paru impossible à cerner, constamment changeant, passant du rationnel à l’irrationnel, dont les sentiments les plus profonds restent dissimulés et n’apparaissent que rarement, par moments brefs et humains. L’enterrement de Bunny, la lettre à Richard, le « Je t’aime » à Camilla. Magnifique.


The Secret History est une réminiscence, une histoire de regrets, de souvenirs imprimés pour toujours dans l’esprit de Richard. C’est une histoire de sensations, qui m’a laissé une forte impression visuelle par ses détails, ses ambiances « flottantes » d’attente, d’errance. Les nuits blanches et ses virées en voiture, les couloirs de l’université, l’immensité des montagnes, la sérénité de la maison de campagne, l’hiver en solitaire, l’étouffante maison des Corcoran,...


Un faux calme plane dans la première partie du livre. Ces personnages mystérieux, « enfants-adultes », dans un entre-deux complexe, passent ensuite dans un temps de refoulement, de déni de la catastrophe puis à une phase de débordement : leurs émotions explosent et révèlent leurs vraies natures. Comme des enfants confinés dans leurs bulles, « Le sublime » comme leur rappelle Julian en début de plusieurs cours, ils se heurtent violemment aux conséquences lorsque les mensonges deviennent insupportables et finissent par les blesser tour à tour (notamment la rupture Camilla/Charles, la lettre de Bunny,...).
Comme des enfants ils aiment avoir peur, ils aiment expérimenter et jouer avec leurs émotions car « Beauty is terror ». Mais progressivement, ils comprennent qu’ils n’ont plus le contrôle jouissif qu’ils avaient au début sur leurs actions (surtout Richard et Henry).


La sensation d’être maître de sa vie, d’avoir confiance en l’avenir et d’avoir le pouvoir de décision, tout cela s’efface peu à peu pour laisser place au chaos le plus total, l’angoisse, les sentiments longtemps refoulés. C’est en cela que lorsque Henry, le pivot, le point d’équilibre, celui qui mène la danse, se suicide, tout s’effondre et les personnages se séparent : il est le maître des illusions.
Julian est selon moi une vision plus âgée de Henry, leur lien très étroit (qui n’est d’ailleurs jamais vraiment expliqué bien que lors de sa disparition, Henry confie à Richard que Julian était pour lui comme un père) et la ressemblance de caractère, la façon dont ils ont de se compléter ne sont selon moi, pas laissés au hasard.


Henry est aussi un peu comme dans Le Chardonneret avec Théo et Boris (roman paru en 2014 de Donna Tartt), une sorte d’alter ego de Richard. La partie cruelle mais patiente, en contrôle total, qu’il tente de réconcilier avec la partie flottante, incomplète, de lui-même. Mais qui finira par le sang et l’inévitable séparation.


Point négatif : Ce qui m’a déçu dans la seconde partie, c’est toute cette série de révélations entre Francis et Richard qui a brisé l’atmosphère et a rendu le récit artificiel. Je n’ai pas trouvé nécessaire d’annoncer explicitement toutes les relations qu’entretiennent les personnages entre eux (notamment la relation incestueuse de Camilla et Charles) puisque l’on s’en doutait auparavant. L’incertitude, les secrets, comme je l’ai dit auparavant, décuplent notre imagination et notre implication dans le récit, qui nous absorbe.


J’ai dévoré ce livre avec voracité et je me suis retrouvée plusieurs fois à esquisser le personnage d’Henry ou quelques passages du livre qui m’ont laissés une impression visuelle très forte, dans les marges de mes cahiers. Le mélange revigorant d’une intrigue de meurtre au cœur de la vie universitaire à la culture impressionnante de Donna Tartt, donne un récit riche en détails et en personnages, une histoire intense et profonde, qui communique les émotions comme aucune autre.

mamafidjar
9
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le 6 mai 2017

Critique lue 693 fois

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mamafidjar

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