Résumé détaillée de l'oeuvre
Raymonde Moulin est une sociologue française, fondateur du Centre de sociologie des arts qui a, un temps, dirigé la Revue française de sociologie. Elle est l'auteur de « L'artiste, l'institution et le marché » et de « La valeur de l'art ».
Le présent ouvrage vise à mettre en lumière l'articulation étroite entre les marchés de l'art (classique, contemporain) et le marché financier qui permet la circulation des œuvres. Ainsi, chacune de ces deux instances remplit des fonctions particulières qui tendent à s'interpénétrer. Le champ artistique vise à l'évaluation artistique des œuvres en circulation, ou en voie de l'être, et le marché financier vise à la fixation des prix et des transactions.
L'auteur distingue trois catégories de biens pouvant faire l'objet de négoces sur le marché de l'art : les œuvres d'art, les objets d'antiquité, les objets de collection. L'accent sera mis, ici, sur les œuvres d'art et notamment celles du marché de l'art contemporain, marché qui se caractérise par l'incertitude maximale concernant la valeur des œuvres. La première partie de cet ouvrage tentera donc de mettre en exergue, par le biais d'une analyse comparative, les relations qu'entretiennent les différents marchés de l'art (classique et contemporain) et le marché de la finance. La seconde partie visera, elle, à faire état des transformations du marché de l'art sous l'effet de la mondialisation des réseaux d'information et d'échanges et de l'influence de l'extension du concept d'art dans la fixation des prix. La difficulté de l'analyse réside, selon l'auteur, dans l'incertitude et l'asymétrie des informations, certains acteurs disposant d'informations, d'autres non ; et dans les critères d'interprétation des prix qui nécessitent une connaissance subtile du marché.
I Certification de la valeur et marché de l'art
Le marché de l'art classé
Ce marché concerne les œuvres déjà inscrites dans le patrimoine historique. Ce sont des œuvres très hétérogènes, en termes d'artistes et de styles, dont la rupture historique entre l’avant-impressionnisme et l'impressionnisme/modernisme constitue la ligne de démarcation majeure dans l'organisation des ventes.
Ce marché se caractérise par un jugement de l'histoire, de la rareté. La relative stabilité des grandes œuvres, de valeurs financières sûres, n'est pas à l’abri des incertitudes concernant l'authenticité de l’œuvre et celles concernant la stabilité, à plus moyen et long terme, des valeurs esthétiques.
L'art classé représente le type idéal des biens rares selon l'auteur. Les détenteurs de ces œuvres sont, d'un certain point de vue, des « monopoleurs ». Cependant, le prix n'est pas que fonction du « monopoleur », les variables relatives à la demande et la conjoncture économique générale participent de ce prix. De plus, il y a une « substituabilité » des œuvres, hétérogènes a priori. Chamberlin a montré que les œuvres, malgré leur unicité propre, étaient des sources de prestige symbolique ainsi que des valeurs refuges, elles sont donc substituables à ces niveaux. En somme, les motivations des acheteurs potentiels permettent la réintroduction d'éléments concurrentiels au sein du monopole.
La valeur de ces éléments monopolistiques est dépendante de l'identification de la place de l'artiste dans l'histoire et de l’œuvre particulière. L'authentification d'une œuvre n'est pas seule à fixer le prix, la concurrence entre deux enchérisseurs assure une part d'imprévisibilité concernant la valeur d'une œuvre.
C'est un marché composé d'acheteurs privés, d'entreprises, d'institutions ou de marchands servant d'intermédiaires. Les fondations et musées sont très rarement présents sur ce marché car ils n'ont pas les armes économiques nécessaires à l'acquisition de telles œuvres.
La rigueur des expertises diminue l'offre des œuvres rarissimes par conséquent les acteurs culturels et économiques travaillent à la reconstitution de l'offre globale par l'identification des œuvres et la révision des valeurs afin de contrecarrer les limitations de l'offre.
L'identification des peintures anciennes nécessite un travail important de documentation car une partie importante de ces œuvres ne sont ni datées, ni signées. Les fausses attributions (place dans l'histoire de l'artiste ou de l’œuvre) éventuelles ne remettent pas en cause les caractéristiques esthétiques attribuées à l’œuvre mais en modifie sa valeur financière. De plus, les conflits entre experts chargés de l'authentification d'une œuvre et les différentes initiatives commerciales dont elle est sujette sont autant de facteurs altérant l'indépendance absolue de l'identification de l’œuvre.
Sur ce marché, tout changement d'attribution devient un élément monétaire et/ou un point de départ d'une procédure juridique. En somme, la définition nouvelle ou la ré attribution d'une œuvre permet le renouvellement du marché.
Ce travail d'identification dans le renouvellement de l'offre est suppléé par la révision des valeurs, l'incertitude à moyen et long terme concernant l'instabilité de la hiérarchie des valeurs esthétiques. En effet, les œuvres sont sujettes à des déclassements ou des reclassements successifs qui sont fonction de l'évolution de la mode et valeurs esthétiques contemporaines. La révision des valeurs permet d'atténuer les effets de la raréfaction des œuvres et de l'augmentation de leur prix. La compétition entre acteurs, dans le renouvellement de l'offre, est donc une double compétition : compétition financière et compétition intellectuelle dans la ré évaluation de certains courants, artistes …
L'état du marché de l'art et des préoccupations esthétiques du présent permettent la revalorisation de certains courants et la réapparition de certains artistes ce qui, en dernière instance, concoure au renouvellement de l'offre. Le fait que tout art ne jouisse pas du même crédit au même moment permet la constitution de collection à « moindres frais », ceci permet de contourner les tendances dominantes.
Le travail d'expertise des grandes œuvres est, aujourd'hui, exercé par des « agents réducteurs d'incertitude » dont la réputation dépasse la communauté savante et influe sur le marché de l'art. Le rôle joué par les conservateurs est d'une importance capitale car ils servent d'intermédiaire entre les préoccupations intellectuelles nouvelles et les préoccupations marchandes qui en découleront.
En somme, le marché de l'art classé se caractérise d'une part par une offre théoriquement finie et une rareté croissante, d'autre part par l'objectivation des valeurs artistiques par le temps. L'élasticité de l'offre, par le biais du travail d'authentification et de révision des valeurs, est possible. Ces œuvres, nouvellement redéfinies ou réintroduites sur le marché, mènent aux mêmes mouvements de spéculation que dans le secteur de l'art contemporain.
Le marché de l'art contemporain
Ce marché implique plusieurs distinctions : artistes vivants ou morts, art figuratif et art contemporain. L'art figuratif alimente une marché relativement stable car son appréciation repose sur une tradition routinisée. Il dispose d'une large clientèle mais n'est plus homologué par le monde de l'art contemporain. En effet, il est ignoré par les intellectuels de l'art et ne bénéficie plus du soutien de l’État dans la perpétuation de la tradition. L'art figuratif ne crée pas de demandes, il se soumet à celles existantes, l'innovation est donc rejetée. Cet art est soumis au « goût majoritaire » dans son appréciation c'est à dire la corrélation entre l'appréciation du métier et l'esthétique de la ressemblance. Cet art n'a pas donné lieu à de grands mouvements spéculatifs mais n'est pas insensible à la conjoncture économique générale.
L'art contemporain, quant à lui, est un marché beaucoup plus instable car il est très dynamique et est subdivisé en de nombreux « sous-segments ». Il ne se réfère pas à un critère strictement chronologique et ne doit pas se confondre avec la production des artistes vivants. Ce terme reprend les créations associées à la tradition moderne de rupture, qui s'oppose à l'ancien, et les créations dites postmodernes. L'artiste international incarne alors « le créateur le plus directement bénéficiaire de l'aura de la contemporanéité » et sa validation passe moins par sa distance dans le temps que son extension dans l'espace. Cet art, caractérisé par une forme de pluralisme culturel, comporte de multiples réseaux spécifiques d'acteurs tous en concurrence les uns avec les autres.
Les valeurs financières et esthétiques de l'art contemporain s'effectuent à l'articulation du champ artistique et du marché. Le prix a une fonction très importante : il permet d'attester du travail non-économique de crédibilisation esthétique. Le prix permet à l'information de circuler et à l'internationalisation du jugement esthétique de se faire. Le « monopoleur »est, ici, le marchand car il sert d'intermédiaire entre le créateur et les acheteurs potentiels. Son monopole n'est que temporaire cependant. La distinction entre entrepreneur et négociants est de plus en plus ténue, l'opération la plus fructueuse étant de mélanger les deux types d'activités (revente d'objets déjà reconnus et promotion d'artistes). L'art contemporain s'organise autour de leaders qui balisent le « territoire artistique » et les tendances dominantes. Dans cet art, les leaders doivent créer une demande susceptible d'apprécier les nouvelles créations. Pour ce faire, ils ont recours à la diffusion culturelle mais aussi, et surtout, à leur capital symbolique au sein du champ considéré, leur réputation culturelle, elle pallie à l'absence de règles artistiques normées. L'étendue de la diffusion culturelle de ces leaders à un niveau international permet aux œuvres d'être rapidement considérées comme le nec plus ultra des productions culturelles du moment du fait qu'ils mobilisent un réseau informel et très réactif de partenaires.
Parallèlement, les mégacollectionneurs stimulent la hiérarchie sociale et économique des artistes en achetant des œuvres à faible coût afin de contrôler l'offre. Ces mégacollectionneurs influent sur la notoriété de l'artiste et leur présence dans les conseils d'administration des grands musées leur permet de diffuser leurs œuvres. Ils jouent le rôle de médiateur entre les acteurs culturels et les acteurs économiques. La revente, dans le secteur secondaire, s'organise de manière plus anarchique du fait de la présence d'intermédiaires beaucoup plus divers. Ce secteur échappe au contrôle de l'artiste et de son marchand attitré.
La promotion de ce type d'art ne peut se passer d'un réseau international d'acteurs, galeries et institutions culturelles. Les grands événements, type Biennale, assurent la circulation de l'information sur les dernières nouveautés et permettent de « donner le ton » du moment, menant de fait à une standardisation des choix des collectionneurs. Ces événements jouent le rôle d'académies informelles en constituant des palmarès de valeurs esthétiques et marquent le passage obligatoire pour la réputation de l'artiste et la fixation des prix de ses œuvres. Les musées parachèvent ce double mouvement par « l'aura du lieu et l'expertise du conservateur », ils sont l'instance majeure de validation de l'art. Ils permettent à certaines œuvres complexes d'être reconnues comme art, il ont un pouvoir « séparateur » en définissant ce qui est de l'art et ce qui ne l'est pas, esthétiquement et financièrement parlant. Ainsi, les conservateurs et critiques définissent l'offre artistique, forment et informent la demande. Les responsables institutionnels jouent un rôle important car ils permettent aux œuvres de se situer dans la hiérarchie des valeurs esthétiques et d'en donner, par la même, une évaluation financière. Ce champ de l'art s'organise autour de grands musées, interconnectés entre eux (cf. expositions itinérantes), qui décident des tendances et imposent, en quelque sorte, leurs goûts aux musées « suiveurs ». Nous voyons donc que les acteurs remplissent des rôles différents et interchangeables qui rendent difficile la démarcation entre conservateur/critique/curateurs free lance.
L'expertise ne nécessite pas d'attribuer des œuvres à des artistes étant donné que ceux sont les artistes et leurs marchands attitrés qui sont les plus à même de le faire. L'expertise, ici, revient à authentifier l'appartenance de l’œuvre au monde de l'art. On authentifie pas, on valide. Les acteurs étant en charge de cette validation se sont multipliés au cours des années 1980. L'expert doit s'appuyer sur un large réseau d'informations pour mener à bien son entreprise et ainsi instituer des relations de confiance avec les agents économique et culturel dont il dépend.
L'art comme placement
L’œuvre d'art offre trois services à son détenteur : esthétique (le plaisir), sociaux (distinction, prestige) et financier (bien durable qui représente un placement alternatif). La Bourse est un marché où se rencontrent l'offre et la demande en vue d'un consensus sur le prix de la marchandise, représentatif de l'état du marché. Les biens échangés doivent être interchangeables (titres d'une société). Le marché de l'art va à l'opposé de ce pré requis dans la mesure où il se caractérise par son absence d'homogénéité et le faible nombre d'acteurs susceptibles de l'intégrer. Le vendeur de l’œuvre est donc en position monopolistique. Les ventes aux enchères ne se déroulent pas en continu, comme à la Bourse, du fait que les bénéfices ne soient pas envisager à très court terme. À la différence de la Bourse, le marché de l'art n'est pas transparent par rapport à ses cours. Les prix divulgués sont bien souvent les plus extravagants, ils n'offrent pas une vue d'ensemble de l'état du marché.
Certaines études ont tenté de prouver que le rendement des actifs artistiques est bien souvent sur évalué, du moins sur le long terme. La différence entre le rendement de l'actif artistique et financier est censée incarner le prix de la jouissance esthétique. D'autres ont prouvé le contraire en montrant que la Bourse agissait sur le marché de l'art en décalé d'un an, ces études concernant plus les échanges spéculatifs à court terme.
Ces études illustrent les difficultés pour saisir l'interdépendance, sinon l'influence réciproque, du marché de l'art de la Bourse. Un nombre important de données sont à prendre en compte : la non substituabilité des œuvres, les effets d'anticipation, la circulation de l'information …
Le marché de l'art contemporain a connu deux périodes de spéculation intense ces vingt dernières années. Le marché a connu une « pictomanie » dû à des facteurs conjoncturels (nombre important de liquidités) au début des années 80. Le marché a connu une spirale spéculative, une augmentation généralisée des prix, une élévation du nombre d’œuvres vendues aux enchères …
La montée des prix s'explique en partie par les comportements boursiers adoptés par certains acteurs du marché de l'art mais aussi l'engouement pour certains courants tel l'impressionnisme. Le climat de l'époque tient, pour une large part, à la confiance accordée en la validité des placements artistiques. Les banques ont accordé un nombre important de crédits favorisant la spéculation à découvert.
L'art ancien témoignait d'une relative stabilité, ces indices de prix ayant explosé entre 1980 et 1990. Acquis grâce au socle spéculatif sur lequel reposait le marché, ces tableaux ont été les plus soumis au krach boursier de 1987 et aux difficultés économiques du début des années 90. La reprise de l'économie à la fin des années 90 et l'euphorie boursière ont concouru à la hausse de certaines valeurs artistiques, redonnant sa stabilité à l'art classé.
Cependant, la majeure partie des capitaux investis dans l'art entre 1987 et 1990 l'ont été dans le marché de l'art contemporain. Ce marché s'est progressivement transformé en un marché spéculatif à part entière. La circulation des œuvres et les écarts de prix enregistrés entre deux périodes se sont accrus, des artistes ont connu des « ascensions fulgurantes ». Cependant, la valeur de départ d'une œuvre et sa valeur après introduction sur le marché ont connu un tel décalage qu'une importante bulle spéculative s'est peu à peu constituée. Sur le marché de l'art contemporain, les œuvres les plus onéreuses sont les modernes (impressionnisme notamment), bien plus que celles dites « postmodernes ». Les œuvres postmodernes connaissent des envolées tarifaires beaucoup plus ponctuelles, leur chute l'est tout autant.
À la fin des années 80, les différents krachs boursiers ont fortement pesé sur les artistes les plus côtés du moment. Les grandes enseignes telles Sotheby's et Christies ont vu leur prix de vente baisser considérablement et, les effets de la crise touchant les acteurs les plus décisifs, le marché s'est « retourné » (plus de soutien bancaire). Une nouvelle génération de collectionneurs a pris la relève à la fin des années 90, leur affinité avec la culture de l'image ont profité aux artistes Pop-Art. Une nouvelle phase de spéculation a permis l'augmentation des prix de nouvelles œuvres mais aussi la création de nouvelles institutions (Tate Modern Gallery à Londres) et l’émergence de nouveaux de leaders tel Charles Saatchi en Angleterre. Les œuvres contemporaines, du fait de l'incertitude sur leur reconnaissance future, possèdent « une des caractéristiques majeures des objets potentiels de spéculation ». Il peut devenir un marché d'investissement intéressant lorsque les valeurs boursières connaissent des périodes de faiblesse.
II Déterritorialisation du marché, démultiplication et dématérialisation de l'art
Marché mondial en voie de globalisation
Le marché de l'art a toujours été international mais il fonctionnait sur la base d'une juxtaposition des marchés nationaux communiquant plus ou moins bien, aujourd'hui il est mondial. Les différents marchés nationaux sont tous intégrés dans un système global d'échanges culturels et économiques. Les progrès technologiques permettent désormais à l'information de circuler instantanément et sur l'ensemble de la planète. La mondialisation a été permise, en partie, par la dématérialisation des flux financiers. Les règles et conditions de taxation et de fiscalités ont conduit à une déterritorialisation du marché dans la mesure où certains pays présentent des avantages favorables au marché. Les acteurs du marché de l'art s'insèrent dans une organisation géographique triangulaire qui favorise leurs actions (NYC, Londres, Paris), il est quasiment le même que le marché financier, ces deux milieux étant fortement liés. Le marché comporte de nombreuses coalitions, tacites pour la plupart, visant à pallier à « l'incertitude du destin commercial des innovations ».
Le nombre de ventes aux enchères a fortement évolué ces trente dernières années, cependant la répartition des gammes de prix sur le marché mondial est très inégale. 80% des objets vendus se situent entre 100 et 10 000€, seuls 1,5% dépassent les 100 000 €. L'art est le marché le plus institutionnalisé dans le domaine des ventes aux enchères, il est aussi le plus rentable. Il y a deux types de répartition sur ce marché : la répartition du volume et la répartition du chiffre d'affaires. Au niveau de la répartition en volume, l'Europe représente la moitié du marché ; au niveau du chiffre d'affaires les États-Unis ont la capacité d'attirer des œuvres exceptionnelles. S'arrêter à l'évaluation des ventes aux enchères est très restrictif car l'essentiel des ventes réalisées le sont par des galeries, elles sont donc privées.
Les deux firmes principales dans le domaine des ventes publiques sont : Christie's et Sotheby's. Elles sont toutes deux cotées en Bourse. Leur montant total des ventes d’œuvres d'art avoisine les deux milliards de dollars annuel chacun. Leurs stratégies et objectifs sont mondiaux, ils sont présents dans plus de quarante pays afin de s'assurer de nouvelles clientèles et objets à vendre. Ces deux grandes firmes ont une volonté de contrôle du marché, ce qui s'est traduit par l'augmentation du nombre de partenariat et rachat de firmes plus modestes. Ceci augmente les effets de concurrence entre marchands et conservateurs. La fonction du conservateur se rapproche de plus en plus de celle d'un professionnel du négoce, notamment depuis leur introduction dans les ventes privées. Encore une fois, les rôles sont brouillés, les spécialistes de vente peuvent être experts et/ou conseillers de collectionneurs, voire commissaires d'exposition. Ces firmes ont la capacité de réunir l'ensemble des acteurs du marché afin d'influencer le marché. Malgré la concurrence accrue entre les firmes, leurs comportements s'orientent régulièrement vers une forme de duopole. Cette déterritorialisation a eu des impacts sur les coûts de structure pour lesquels les firmes ont manifesté une « collusion objective », ce qui leur valut des poursuites judiciaires. De nouveaux acteurs ont émergé depuis, notamment en France. Ces grandes firmes investissent dans tous les domaines de l'art : le rachat de galeries, de sites Internet, de banques de données, d'organes de presse …
L'auteur interprète cette stratégie comme une stratégie d'intégration verticale visant à contrôler les différents niveaux constitutifs du marché de l'art. Ce contexte de globalisation a largement profité à ces grandes firmes, au détriment des marchands devenus dépendants de ces dernières. Seules quelques grandes galeries internationales peuvent rivaliser avec ces mastodontes.
Ainsi, les foires et salons apparaissent comme des possibilités, pour les professionnels du négoce, de « résister aux tentatives hégémoniques des maisons de vente ». Les foires permettent aux œuvres de circuler et d'être échangées par des collectionneurs d'art, elles permettent de se situer par rapport aux tendances actuelles. La Biennale de Bâle est même considérée comme « un marché d'art temporaire » et « musée d'art à durée limitée ». Ces lieux sont des réels médiateurs entre les acteurs culturels et les acteurs économiques, ils permettent de dynamiser la scène artistique et la scène financière qui lui est associée. Enfin, ces lieux offrent la possibilité aux galeries de pouvoir proposer leurs artistes/œuvres, il importe aux marchands de préserver les foires de la mainmise des grandes firmes de ventes aux enchères.
Aux ventes aux enchères « traditionnelles », il faut ajouter les ventes aux enchères en ligne. Ces dernières sont apparues au courant des années 1990 et, peu à peu, un vrai réseau s'est constitué. Certains sites Internet se sont alliés avec des firmes au passé prestigieux afin d'asseoir leur crédibilité (Ebay a acheté Butterfield and Butterfield). Le but de ces sites était de réduire les coûts de structure tout en augmentant la demande géographique et sociale. La firme Sotheby's s'est faite hébergée par Ebay pour proposer son service en ligne. Cependant, Internet ne concerne que les ventes basse et moyenne gammes du fait que les professionnels aient encore de nombreux doutes concernant l'authenticité des objets proposés, esthétiquement et financièrement. Nous pouvons dire, sans trop nous avancer, que le marché des œuvres d'art a globalement résisté à l'assaut d'Internet.
L'auteur note une extension géographique de l'offre artistique depuis 1990. En effet, de nombreux pays ont intégré, institutionnellement, le marché de l'art. La création de musées et d'événements artistiques s'est déployée partout dans le monde (Biennale de São Polo, La Havane, Shangai …). Bon nombre d'événements développent une perspective plus anthropologique qu'historiciste, le relativisme culturel prend une part croissante. La mondialisation de l'art a profité au renouvellement de l'offre artistique contemporaine, exigence de ce marché. Les acteurs en charge de faire émerger de nouveaux talents proviennent majoritairement des courants main stream occidentaux, leur légitimité au sein de ce milieu leur permet de participer à cette économie de la reconnaissance puis de la célébrité. Les artistes hors occident ont souvent été amenés sur les devants de la scène par les firmes les plus importantes du marché de l'art. L'auteur se demande s'il n'y a pas une forme d'hégémonie, sous le pluriculturalisme, un noyau central qui décide des valeurs et des réputations ? Le fait que les artistes eux mêmes se servent de supports de la culture occidentale pour réaliser leurs œuvres permet au marché de l'art de voir apparaître des métissages et hybridations qui dynamisent l'offre.
Le marché français face à la mondialisation
A la moitié du XX ème, Paris se situait au premier rang par le montant global des transactions. Le chiffre d'affaires réalisé par Drouot représentait ceux de Sotheby's et Christie's réunis. Le déclin du marché de l'art parisien s'est observé pendant les années 1960 et 70.
L'évaluation du marché français est délicate dans la mesure où seules les échanges extérieurs, le montant des ventes aux enchères et des estimations concernant les différents types de vente sont disponibles, le commerce privé n'est pas inclus dans les chiffres publics.
En 2000, les ventes publiques (totalité des ventes réalisés par les commissaires priseurs, frais compris) étaient de l'ordre de 1, 800 millions d'euros. Du point de vue des chiffres, l'hégémonie parisienne semble être remise en question, les ventes parisiennes représentent aujourd'hui moins de 40% des ventes françaises. Cependant, les ventes d'art sont majoritairement parisiennes mais leur montant moyen est largement inférieur à ceux enregistrés à NYC. Les galeristes consacrés à l'art contemporain sont les plus fragiles et leur chiffre d'affaires a baissé de moitié entre 1990 et 1995. Du point de vue des échanges internationaux, les importations enrichissent à l'inverse des exportations. On constate, en France, une nette augmentation des exportations de leur prix moyen par rapport aux importations. La croissance économique des États-Unis pendant les années 90 a largement contribué à cette fuite des œuvres, ils sont les principaux acheteurs. Le marché de l'art se déplace en fonction des législations et des réglementations les plus intéressantes, la France, de ce point de vue, est handicapée par ses fiscalités et réglementations.
En France, les vendeurs particuliers doivent s'acquitter d'une taxe sur la vente d'objets d'art et de collection quand la valeur de l'objet dépasse 3 050 €. Tous les pays ne fonctionnent pas ainsi, il est assez difficile de comparer les taxes sur les plus-values. La mise en place d'une TVA propre au marché de l'art fut complexe. Il y a deux sortes de taxes, qui s'appliquent selon l'objet considéré, celle à 5,5% et celle à 20,6%. La TVA européenne n'est applicable qu'aux résidents européens, l'importation d'un produit européen par un américain n'implique aucune TVA sur l'importation. Les taxes d'importation intra européennes ne peuvent descendre en dessous de 5%. La TVA à l'importation inquiète les galeristes car elle pèserait sur les ventes d'artistes français soumis à cette TVA.
Le droit de suite concerne la part d'une vente qui doit être reversée à l'artiste ou ses ayants-droit, il ne concerne que les ventes publiques. L'artiste peut toucher ces 3% de son vivant ou jusqu'à 70 ans après sa mort pour ses ayants-droit. Les galeries ne sont pas « touchées » par cette charge mais elles ont accepté de cotiser pour la Sécurité sociale des artistes, elles paient une part patronale. Le montant qu'elles paient est bien supérieure au montant de l'ensemble des droits de suite. Plusieurs arguments s'opposent concernant le droit de suite : le juridique et social (propriété intellectuelle et justice sociale) et l'argument économique pour qui le droit de suite constitue une entrave au dynamisme du marché. L'argument social est difficilement défendable dans la mesure où la majeure partie des artistes ne touchent que des miettes de redistribution et que le droit de suite ne s'applique pas dans tous les pays d'Europe, ce qui favorise la délocalisation des œuvres. Le droit de suite reste cependant une des revendications des artistes car il peut assurer des revenus en différé, corrélatif au succès de l'artiste. Il n'en reste pas moins qu'au niveau du marché, le droit de suite constitue une réelle distorsion de concurrence.
L’État est confronté à un dilemme de taille : privilégier la protection du patrimoine pour lutter contre l'internationalisation du marché et développer la libre circulation des biens artistiques. Aujourd'hui le certificat d'autorisation de sortie est ce qui permet à une œuvre de quitter le territoire français. Si l’œuvre, considérée comme trésor national, ne peut quitter le territoire alors l’État s'engage à faire une offre au propriétaire pour ne pas le pénaliser. Les collections d’œuvres se sont vues être protégées par la loi, elles aussi, afin de ne pas porter atteinte à la cohérence de l’œuvre en question. Ces règles permettent à certaines œuvres de ne pas être démembrées. Cependant, la loi a assouplit ses règles afin de libérer certaines œuvres plus facilement et ainsi accroître la circulation des œuvres. Aujourd'hui l’État ne peut pas entretenir la masse des trésors nationaux, ces règles permettent au patrimoine de survivre par le bais de collectionneurs privés. Ces mesures font, bien sur, débat.
L'ouverture du marché français a modifié le statut des commissaires priseurs, jusqu'ici considérés comme officier ministériel. La loi du 10 Juillet 2000 a supprimé le monopole de ces derniers pour les ventes aux enchères volontaires. Dès lors, des sociétés à forme commerciale et à objet civil sont apparues, elles doivent cependant compter un commissaire priseur en leur sein. Cette loi a permis l'introduction de nouvelles techniques de vente, assimilables au modèle anglo-saxon. L'état a tout de même pallier à la suppression de ce monopole en indemnisant les commissaires priseurs. Cette loi a donc visé à l'abolition du monopole des commissaires priseurs et a affranchi les professionnels des réglementations judiciaires et financières propres au statut ministériel. Cette ouverture du marché a permis de voir de nombreux regroupements entre sociétés françaises, leur donnant une vocation à devenir « des acteurs globaux sur un marché en voie de globalisation ». Si le secteur des ventes aux enchères volontaires se voit investi par des grosse structures commerciales, le marché de l'art contemporain, lui, ne compte que peu de galeries capables d'avoir un écho international malgré leur nombre élevé sur le territoire. Cependant, quelques structures fortes sont apparues ces vingt dernières années sous forme d'oligopole à frange. Ces grandes structures travaillent par capillarité, les petites structures leur servant de « vivier ».
Enfin, l'une des dernières faiblesses du marché de l'art français vient de sa conception étatique du mécénat. L’État a développé des mécanismes législatifs et réglementaires visant à encourager l'initiative de personnes privées (entreprises y compris). Ces mécanismes sont de nature fiscale, ils portent notamment sur l'exonération des œuvres d'art dans le calcul des impôts des grandes fortunes, mais ils permettent d'enrichir le patrimoine national. En un sens, ce système d'allègement des produits fiscaux est une façon indirecte et publique de financer l'initiative privée. Ceci favorise la création de fondations culturelles qui pèsent sur le marché mondial.
La sauvegarde de la rareté
L'auteur, dans ce chapitre, pointe les conséquences de l'arrivée des nouvelles technologies dans le monde de l'art qui tendent à banaliser le rapport à l'image et contribuent à la « disparition de la rareté ». Un objet, pour entrer dans le marché de l'art avec un statut d’œuvre, doit être unique ou rare. L'extension du « label artistique » a conduit le marché a recréer la rareté afin qu'elle puisse être économiquement valorisée. L’œuvre d'art doit être exécutée par la main de l'artiste ou sous sa direction et à un nombre limité d'exemplaires pour être considérée comme telle. Dans le marché de l'art ancien, la rareté maximale concerne les œuvres entièrement exécutée par leur auteur, d'une indivision du travail. La réplique, même si elle est produite par l'artiste, doit être distinguée de l’œuvre originelle. La conception de l'art reposant sur l'imitation de modèles permettait aux répliques d'avoir une grande valeur, notamment chez les artistes reconnus pour cela, tandis qu'aujourd'hui les spécialistes accordent une irréductible primauté à l’œuvre originelle. La sculpture a dû être supportée par le droit afin de faire reconnaître l'authenticité et l'originalité d'une œuvre d'art et ce, dans le but de les différencier des copies et reproductions (tirage limité, signature de l'artiste, remarques supplémentaires …).
L'auteur présente ensuite le cas de la photographie et de sa « rareté paradoxale ». Cette forme d'art a mis une centaine d'années avant d'intégrer les musées de manière permanente. Les instances de reconnaissance ayant portée leurs fruits, seule la rareté restait à satisfaire, caractéristique ultime du marché de l'art. Les photographies reconnues comme œuvres d'art le sont selon ces critères : tirage par l'artiste ou sous sa direction, tirage à trente exemplaires maximum. Les photographies anciennes ont plusieurs critères de rareté : rareté originelle (objet unique), rareté résiduelle, rareté de l'excellence artistique définie par les spécialistes. Quand ces conditions sont remplies, l'offre devient beaucoup plus limitée et le prix de l’œuvre est soumis aux mêmes facteurs déterminants qu'en peinture ancienne. La création d'institutions entièrement dédiées à la photographie a accru sa place dans le marché de l'art. Les photographies d'artistes plasticiens peuvent prendre le même caractère de rareté que certaines peintures lorsque celles ci sont encadrées, signées et titrées au dos par l'artiste. Le nombre limité de tirage peut accroître l'effet de rareté lorsqu'une seule photographie sur cinq tirée est disponible sur le marché. Dans le domaine de la vidéo, la rareté tiendra aussi au nombre limité de tirages et de la notoriété de l'artiste mais, plus encore, de l'installation nécessaire à la diffusion de la vidéo. L'installation dans laquelle doit être visionnée l’œuvre lui assurera son caractère unique face à la reproduction de la vidéo en elle-même.
Nous pouvons dire que l'arrivée de nouvelles formes d'art (photographie, vidéo …) n'a pas remis en question la solidité des règles juridiques fondées sur la tradition et l'unicité de l’œuvre d'art. Les nouveaux supports sont à « utiliser à rebours de leurs possibilités technologiques ».
Nous avons pu, grâce à la lecture de cet ouvrage, avoir un aperçu de la dynamique historique du marché de l'art et des transformations juridiques et technologiques qu'il a connu. L'auteur a très largement souligné l'interdépendance de la définition des valeurs esthétiques et financières en insistant sur la pluralité des rôles endossés par les acteurs de ce marché. Enfin, elle nous a montré que la rareté, autrement dit l'authenticité et l'originalité d'une œuvre, était la référence majeure du marché de l'art à tel point que la déclaration de Duchamp « C'est la rareté qui donne le certificat artistique » semble encore être d'actualité.
L'auteur se demande, en dernière instance, si les effets de la mondialisation du marché de l'art, ses coûts de structure, de promotion et de production d’œuvres (installations démesurées par exemple) ne vont pas accroître les besoins de concentration financière et accroître, de ce fait, le poids des instances économiques dominantes ?