De qui ce livre nous raconte-t-il l'histoire ? Peut-être de Noboru, un enfant en quête de réponses, de héros. Un enfant de 13 ans qui vire à la psychopathie totale, entraîné par un enfant-leader tout aussi fou que charismatique, malheureusement. Ou serait-ce l'histoire de Ryûji, marin expérimenté, perdu, sans but, rejeté par la mer, se récusant de la terre, et peut-être un peu amoureux. Ou plutôt l'histoire de Fusako, veuve et mère impuissante, dépassée, lassée de la solitude. Dans une Yokohama en expansion enragée, ils tentent vainement d'échapper à la tristesse de la vie, et la mer derrière omniprésente.
"Tandis que Noboru s'échappait dans ses rêves, Tsukazaki était debout à côté de Fusako, et la chaleur de son corps, dans la chambre des cartes qui était étouffante, commençait à l'oppresser. Lorsque son ombrelle qu'elle avait appuyée à une table tomba soudain avec un bruit sec, il lui sembla que c'était elle qui était tombée à la suite d'un évanouissement.
Elle poussa un petit cri. L'ombrelle avait glissé devant ses pieds. Le marin se baissa immédiatement et la ramassa. Il parut à Fusako qu'il se mouvait avec la lenteur d'un plongeur sous l'eau. Il ramassa l'ombrelle et alors, du fond de cette mer où il était resté sans reprendre son souffle, sa casquette blanche remonta lentement à la surface."
J'ai rarement lu quelque chose d'aussi bien écrit, le style de Mishima est unique, d'une perfection troublante, tout en images. Peut-être que la très bonne traduction de Renondeau y est pour quelque chose. Il n'hésite pas à décrire la plus tendre étreinte comme la plus épouvantable dissection féline, avec toujours le terme exact. J'ai eu du mal à lire certains passages tellement elles suintaient de -écoeurante- réalité.
"Résolu, Noboru brandit le chaton au-dessus de sa tête et le jeta avec force contre la pièce de bois. La petit chose douce et tiède qui était entre ses doigts vola dans l'air à toute vitesse. La sensation du pelage fourré demeura entre ses doigts.
"Il n'est pas encore mort. Recommence !" ordonna le chef.
Les cinq garçons debout çà et là dans l'ombre du hangar, encore nus, restaient sans bouger, les yeux brillants."
Rencontré à la croisée des chemins, ce livre m'a profondément touchée et quoique je comprenne que l'on puisse ne pas aimer, il est difficile de rester impassible face à un tel prodige. Tout droit sorti d'un esprit perturbé et tordu (l'auteur à tenté un coup d'état ridicule et s'est suicidé par seppuku pour laver son honneur, en 1970, et il avait lui-même décrit sa mort dans un de ses livres), le final donne des frissons, il donne au lecteur à la fois frustration et délivrance.
Sans aucune hésitation, j'attribue la note maximale à ce chef d'oeuvre.