C'est en réécoutant le morceau de Francis Cabrel, "La robe et l'échelle", que me sont revenues dans une sorte de flash magdalénien l'ensemble des émotions qui m'enserraient le coeur jusqu'aux larmes à la lecture des dernières pages de ce roman. Non pas que je lisais ce livre en écoutant l'album du chanteur lot-et-garonnais ; il n'était pas sorti. Ce genre de synesthésie proustienne m'était jusqu'alors exclusivement réservé à d'autres oeuvres de mon enfance.


Ecoutez ici La robe et l'échelle


Et pourtant ce morceau a réveillé en moi cette touffeur nostalgique, parfum doux-amer d'une innocence perdue, cette incommensurable empathie que j'éprouvais au tournant de mes douze ans pour les deux héros, Lyra et Will dans les ultimes instants de leur histoire.



Y a tant de façons, de manières
De dire les choses sans parler
Et comme tu savais bien le faire
Tu l'as fait



Qu'y a t-il de si merveilleux dans cette trilogie qui a forgé les derniers jours de mon enfance ? L'épopée de deux enfants arrachés à leurs vies respectives et plongés dans la tourmente d'un univers aussi riche qu'impitoyable. Ces rencontres extraordinaires avec des personnages plus incroyables les uns que les autres, révélant chacun une part d'humanité, une part de mystère. La magie presque rationnelle qui irrigue cette aventure aux confins de la connaissance. La force et la cohérence du monde (des mondes) créé par Philip Pullman.



Un sourire, une main tendue
Et par le jeu des transparences
Ces fruits dans les plis du tissu
Qui balancent



Mais s'il est vraiment une chose qui rend cette oeuvre si particulièrement exceptionnelle, la voici : cette audacieuse lutte contre le poids de l'obscurantisme porté par la religion, cette remise en cause de la barbarie faite au nom du progrès, la rupture de tabous si souvent véhiculés par les livres de jeunesse relatifs à l'amour entre deux enfants, à la violence abjecte de l'arbitraire, à la passion et à la convoitise inhérentes à l'âge adulte. Un livre de réponses contenant en quelques centaines de pages les clés de la vie, de la naissance de l'amour à l'eschatologie en passant par la violence du sacrifice. Anciens et nouveaux testaments réécrits, Adam et Eve lavés de tout pêché, Christ repensé. "A la croisée des mondes" est tout cela, une sorte de syncrétisme entre les mythes fondateurs de notre civilisation, la pensée progressiste et séculaire de notre siècle, la foi en l'âme, la force de l'amour réunis dans un univers presque de sciences-fiction. Le tout empreint jusqu'à la fin de cette peur viscérale de grandir qui faisait écho à la mienne, mais avec à la clef la plus belle des explications, le plus doux des soulagements.



Il ne s'agissait pas de monter bien haut
Mais les pieds sur les premiers barreaux
J'ai senti glisser le manteau
De l'enfance



C'est là qu'on retrouve ma chanson de Cabrel, dans les dernières pages, lorsque nos héros, côte à côte enfin après être passés par le sang et les larmes, découvrent comme Adam et Eve leurs désirs sous l'ombre mouchetée des arbres, partagent ensemble le fruit de leur amour et s'abandonnent enfin, resplendissants d'espérance, à la paix de l'acceptation.


[...]



J'ai trouvé d'autres choses à faire
Et d'autres sourires à croiser
Mais une aussi belle lumière
Jamais



Et de conclure (merci à Babalou pour l'avoir si justement souligné) :



Et voilà que du sol où nous sommes
Nous passons nos vies de mortels
A chercher ces portes qui donnent
Vers le ciel


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le 28 avr. 2015

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Fwankifaël

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