Une belle rencontre, un voyage enrichissant et un plaidoyer sincère pour l’union identitaire de tous

Dans les années quatre-vingts, l’auteur se lançait, seul, dans la descente du Mississipi en canoë. Ce périple de 4000 kilomètres, entre la source du grand fleuve et la Nouvelle-Orléans, représentait un exploit tout aussi sportif que symbolique, dans une Amérique où les Noirs ne disposent toujours pas du même champ de possibles que les Blancs. Il avait alors raconté son voyage dans son livre Mississipi solo. Trente ans plus tard, alors qu’il approche de la soixantaine, il renouvelle l’expérience et publie un nouveau récit, occasion de reprendre la température du pays et de mesurer trois décennies de changement : environnemental, social et racial.


On ne pense pas au Mississipi sans convoquer un certain nombre d’images mythiques. Après tout, c’est l’un des fleuves les plus importants au monde, le plus long en Amérique du Nord si l’on excepte l’un de ses affluents, le Missouri, et le descendre, c’est parcourir quasi intégralement la hauteur Nord-Sud des Etats-Unis. Voie de navigation depuis l’époque précolombienne, « grand fleuve » sacré pour les Amérindiens à qui il doit son nom - francisation de « misi-ziibi -, il traverse quantité de milieux naturels très différents, a fait l’objet d’aménagements colossaux pour tenter d’endiguer ses légendaires inondations, et demeure un axe de circulation majeur, ainsi qu’une composante économique et culturelle essentielle pour le pays.


Le parcourir en canoë est l’occasion rêvée pour évoquer l’Histoire, des Amérindiens à la colonisation européenne, des récits de Mark Twain à son rôle essentiel dans l’économie de plantation esclavagiste dans le Sud, de l’essor de ses industries à celui de ses grandes agglomérations, comme Minneapolis, Saint-Louis, Memphis…, et aussi, de la musique née des bayous à la culture américaine dans son ensemble. Très pollué lors du premier parcours de l’auteur, le fleuve est aujourd’hui en cours d’assainissement. Mais si les oiseaux reviennent, l’invasion de carpes sauteuses d’origine asiatique, qui n’hésitent d’ailleurs pas à attaquer en masse les rameurs aventurés sur ses eaux, menace son équilibre.


Pour l’auteur, ce voyage en solitaire est une confrontation avec lui-même et avec ses choix de vie, mais aussi une expérience destinée à « montrer aux autres que quelle que soit notre couleur, plus nous nous connaissons, moins nous avons peur et plus nous pouvons être unis en tant que nation ». Les rencontres éphémères s’y succèdent, parfois angoissantes, souvent enrichissantes. A travers elles, et en comparaison avec celles de trente ans plus tôt, se révèle la température du pays en matière raciale, alors qu’à cette époque, après la période Barak Obama, s’amorçaient le retour de manivelle trumpiste et une recrudescence de la violence entre Blancs et Noirs. Et, alors que le texte interroge sur les questions d’identité afro-américaine, sur la culture américaine et son lourd héritage de la confrontation raciale, c’est une réflexion personnelle fine et constructive, une main tendue vers la connaissance et la compréhension mutuelles que ce livre propose, dans un immense espoir de voir finir la peur et naître l’apaisement collectif.


Ce livre brillant, aussi intéressant qu’agréable, est à la fois une belle rencontre, un voyage enrichissant et un plaidoyer sincère pour l’union identitaire de tous les Américains. Quelles que soient les erreurs commises, il faut accepter le passé pour enfin tourner la page et envisager de construire l'avenir.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

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le 16 avr. 2022

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