Deux fins du monde pour le prix d'une !
Et voilà, bien des années après l'avoir entamée, j'ai fini ma lecture des quatre apocalypse (une pour chaque élément) imaginées par Ballard !
Je n'ai hélas pas pu les lire dans l'ordre d'écriture, la faute à l'un des textes épuisé et non réédité à la demande de l'auteur (Le vent de nulle part, pour ne pas le nommer) qu'il m'aura fallu chercher longtemps avant d'enfin le dégotter (tout ça pour finir par ce roman, que j'ai pourtant acheter en premier, j'vous jure !). Ceci dit, tout cela n'est pas bien grave, chaque texte étant de fait indépendant des autres (on s'en doute, une fin, c'est bien assez, même pour le monde).
Bref, tout ça pour dire que je suis bien content.
Donc, cet ouvrage recueille deux de ces quatre fameux textes apocalyptiques, rassemblés ici car ils ont finalement beaucoup en commun : Le monde englouti (apocalypse aquatique) et Sécheresse (apocalypse par le feu et surtout la chaleur).
Dans le premier texte : Le monde englouti, le protagoniste principal, un biologiste, est chargé d'étudier les conséquences climatiques de la catastrophe ayant entraîné la montée des eaux (basiquement un réchauffement climatique. Rappelons que le texte date de 1962). L'intrigue se déroule plusieurs années après que les océans aient recouverts la majeure partie des terres, la catastrophe est ici déjà "digérée" par les protagonistes.
Ce réchauffement climatique entraîne un phénomène de régression du biotope qui retourne peu à peu à un niveau proche de celui du Trias, avec donc un environnement chaud et humide, des forêts de type tropical et des reptiles et insectes au mieux de leur forme.
Cette régression s'accompagne, chez certains humains, de rêves eux aussi régressif où ces derniers se voient retourner au Sud (l'Humanité survivante vit au-delà du cercle polaire arctique, seule zone encore vivable) pour retourner dans l'océan primordial.
Dans le deuxième texte : Sécheresse donc, configuration un peu différente (outre le changement d'élément of course). La catastrophe est d'ordre chimique cette fois, les produits rejetés dans l'eau de mer par les usines humaines ayant entraînés l'apparition d'une couche de bactéries isolantes empêchant l'évaporation de l'eau. Au fil des mois, les nappes phréatiques et les cours d'eau peinant à renouveler leur stock s'amenuisent puis disparaissent les uns après les autres...
Bien que ce ne soit jamais clairement dit, le roman semble se passer en Afrique (probablement du Sud), ce qui n'est pas sans faire penser à La forêt de cristal (fin du monde minérale), dont l'action se situe également en Afrique, avec un héros médecin, comme c'est le cas dans Sécheresse d'ailleurs. Cela étant, le lieu importe peu puisque là encore c'est le drame humain et intime qui va dominer.
Là où le narrateur est tenté par le départ dans Le monde englouti, cette fois au contraire, c'est à la tentation de rester que l'on se trouve confronté. Alors que l'eau disparaît peu à peu de la région, il retarde néanmoins le moment du départ à l'extrême.
Le récit se déroule cette fois en trois temps : le retardement du départ dans une ambiance de fin du monde civilisé ; la vie au bord de mer dans une lutte pour se procurer de l'eau douce ; le retour au point de départ en une quête désespérée d'un hypothétique point d'eau.
Dans l'un, comme dans l'autre donc, c'est l'eau qui pose problème, soit par sa trop grande abondance, soit au contraire par sa disparition.
Mais les points communs ne s'arrêtent pas là. Leurs personnages principaux par exemple, sont assez semblables. Dans les deux cas, on a affaire à des hommes dans la force de l'âge (autour de quarante ans), en plein doute quant à leur vie, leur couple et le monde en général.
C'est la principale similitude entre les deux textes : alors que le monde autour d'eux est en pleine déconfiture, ces deux hommes se focalise sur leurs propres doutes / peurs et se replient finalement sur eux-mêmes, souvent en faisant totalement abstraction de leur entourage et des autres.
Leur propre repli introspectif se fait alors en total décalage du monde environnant qui sombre lui, dans le chaos ou la folie.
Ainsi en est-il des sortes de bacchanales tribales des pilleurs d'épaves du Monde englouti alors que le narrateur lui semble régresser dans le temps en une sorte de fascination morbide pour l'océan (la matrice ?) originel(le). Ou encore les délires bibliques du prêcheur fou ou de la secte des pêcheurs mené par le capitaine Jonas (tout un symbole) dans Sécheresse, qui veulent croire à l'existence d'un fleuve caché.
Quoiqu'il en soit, l'aspect fin du monde est, comme dans les deux autres romans du "cycle", moins important finalement que les interrogations métaphysiques qui l'accompagnent. Dans un cas comme dans l'autre le "héros", même si les deux personnages correspondent bien peu à cette imagerie, choisissent in fine le repli sur soi, l'isolement et l'acceptation fataliste d'une situation sur laquelle leur emprise est nulle.
Deux romans dont la publication conjointe est justifiée à plus d'un titre donc, et qui finalement se répondent et se complètent. Certainement les deux textes les plus aboutis de la "série" des apocalypse élémentaires.