De Conan Doyle, je ne connaissais que les aventures du locataire de Baker Street. C'est au détour d'un rayonnage chez mon bouquiniste préféré que je suis tombée nez à tranche avec cet ouvrage. Une édition de 1978, des pages cornées et jaunies, une couverture ridée au dessin de présentation peu engageant. Collection 1000 soleils chez Gallimard. Et sur la page de garde, le prix inscrit au crayon bois, comme une aumône : 0,50 euros.
Dès les premières lignes, je retrouve cette langue délicate si particulière aux lettrés du XIXè. Élaborée sans être pompeuse, subtile mais toujours compréhensible, cultivée et accessible. Il y a un raffinement suranné qui s'infuse lentement en moi et laisse s'installer avec volupté cette ambiance toute londonienne. En plus d'être un remarquable tisseur d'intrigue, Doyle possède un style unique qu'il sait parfaitement mettre en valeur. Le darwinisme appliqué aux écrivains où comment s'adapter aux contraintes de son récits.
Car il est bien question ici d'évolution. Même un siècle après avoir été écrit, Le monde perdu étonne par sa modernité et avant-gardisme de ses idées. Doyle est un scientifique, un pragmatique, il l'a prouvé maintes fois lors des enquêtes de Sherlock Holmes. Il sait rester humble et ne sert jamais de la science pour faire de l’esbroufe ou du spectaculaire. A l'instar des professeurs Challenger et Summerlee, Doyle est dévoué à son art.
Le récit ne souffre d'aucune baisse de rythme, il collectionne les personnages haut en couleurs et se permet plusieurs rebondissements pêchus. Les dialogues, toujours brodés dans cet anglais gourmand, sont au diapason. Les joutes verbales entre Challenger et ses contradicteurs sont assez délectables et poussent parfois à relire certains passages pour leur humour saillant. Le savoir faire du romancier est indéniable même si je regrette la brièveté de l'aventure. En effet, si l'aventure et le suspens sont au rendez-vous, le microcosme de cette terre de Mapplewhite reste assez peu développé. Certainement pour garantir un rythme jamais prit en défaut, Doyle fait l'impasse sur plusieurs éléments. On apprend au final assez peu de choses de ce plateau et de ses habitants. Au regard de la taille imposante de cette nouvelle terre, la fin de l’expédition laisse un gout d'inachevé en bouche.
Avec cette fin ouverte, appelant à d'autres aventures, le jeune Malone va s'affirmer en tant qu'homme pragmatique. Éconduit par une Gwladis cynique et réactionnaire, il va se révéler à lui même. Cette expédition aux origines de l'homme sera le creuset où Malone, simple matière inerte, achèvera son oeuvre au noir. Une transmutation dans la douleur mais nécessaire pour enfin accéder à ses propres désirs les plus profonds.