Comment aborder simplement Le Monde selon Garp de John Irwing ? Ce n'est pas possible. Non pas que le livre soit complexe, c'est juste que l'auteur s'essaie pour notre plus grand plaisir à un admirable travail sur l'imaginaire et de ce fait, le livre a tendance à partir dans tous les sens. Pris dans sa globalité, cet ouvrage traite de la concupiscence, des moeurs sociales des années 70/80, de l'émancipation de la femme, de sport (notamment la lutte), des maux de l'écrivain, du militantisme féministe et de Violence.
Si on diminue un peu la focale, ce livre parle de S.T. Garp puisque après tout c'est son histoire. D'avant sa naissance jusqu'à sa mort, on le voit grandir sous la plume malicieuse de John Irwing. On le suit tout au long du livre faire des rencontres et d'innombrables expériences qui, au fond, n'ont rien d'extraordinaires car ce ne sont que les aléas de la vie. Mais là où où ça devient vraiment intéressant c'est que durant sa vie, S.T. Garp va rencontrer une multitude de personnages haut en couleurs, tous plus attachants les uns que les autres. Et ce sont eux qui font le sel du bouquin.
Car oui, si on continue à zoomer sur l'oeuvre, il s'avère que le monde selon Garp n'est pas vraiment intéressant. Car Garp, intrinsèquement, n'est lui-même pas follement intéressant comme personnage alors que ceux qui animent son existence le sont, eux, vraiment. Le Monde selon Garp n'est finalement qu'un projection des craintes de John Irwing, celles d'un père. Ainsi, Garp est un homme anxieux qui vit constamment avec la peur de perdre ses proches. Une peur panique, poussive et totalement excessive. Et bien que ce sentiment soit commun à beaucoup de monde, il n'empêche que le personnage de Garp finit par devenir sympathique aux yeux du lecteur. Faut dire qu'après 650 pages, c'est un peu la moindre des choses !
Garp est peut-être le personnage principal du livre mais aux yeux de nombreux lecteurs, et de l'aveu même de John Irwing, il s'en est fallu de peu pour que Jenny Fields, la mère de Garp, lui pique la vedette. Jenny est probablement le personnage le plus réussi du livre. C'est d'ailleurs elle qui va, plus ou moins involontairement, orchestrer la vie de son fils à travers ses choix et ses prises de position. Bien que le personnage de Garp soit fondamentalement différent de celui de Jenny, il n'en demeure pas moins incontestablement influencé par cette dernière.
Si Jenny bénéficie d'un traitement tout particulier, tous les autres personnages qui entreront en contact direct avec Garp bénéficieront aussi d'une réelle attention de la part de l'auteur. Que ce soit Ragout "Percy" Gras, Helen Holms, Ellen J., Roberta, Mrs Ralph, Duncan, John Wolf ou encore le vieux doyen de Steering, tous auront une réelle épaisseur et une réelle influence sur la vie de Garp. Bien que Garp soit têtu, obtus et un peu imbu de lui-même, s'il arrive à faire vibrer la corde empathique des lecteurs c'est bel et bien parce qu'il entre en interaction avec tous ces personnages.
Bon, je me rends compte que j'attaque un 6e paragraphe et que je n'ai toujours rien expliqué du livre. J'ai l'impression de n'avoir parlé de rien alors qu'en fait il y a vraiment beaucoup de choses à en dire. Mais bon, j'avais prévenu qu'il n'était pas évident de parler simplement de cet ouvrage....
D'un point de vue pragmatique, il y a une chose qui interpelle lorsqu'on démarre le livre. L'auteur s'amuse énormément avec la chronologie des évènements. Ainsi, il peut effectuer un énorme flashback puis enchaîner sur un songe avant de nous teaser un gros twist qui n'interviendra que bien des années plus tard. Ca peut être déstabilisant mais en tout cas ça ne doit pas vous empêcher de vous plonger dans cette historie. Dans ces histories. D'ailleurs en parlant de ça, Garp (et Jenny) étant écrivain, on aura l'occasion de lire certaines de ses nouvelles ainsi que des chapitres entiers de ses romans. Certes ça casse un peu le rythme de l'histoire, déjà bien décousue par endroit, mais ces apartés sont intéressantes car elles dépeignent les projections mentales de Garp ainis que ses états d'âme. Tout comme Irwing le fait à travers ce livre. Inception, quoi !
Bon, alors pourquoi avoir mis une aussi bonne note à ce roman ? Plusieurs raisons à cela.
Déjà, j'ai aimé la plume facétieuse de Irwing qui m'a décoché à plus d'une occasion de francs sourires. Ensuite, comme je l'ai longuement expliqué, les personnages de ce livre sont vraiment tous réussis et permettent à Garp d'expérimenter, parfois à ses dépends, d'innombrables facettes de la vie. J'ai également aimé ce livre car il dépeint assez bien de nombreux travers sociaux et surtout n'hésite pas taper là où ça fait mal.
Enfin, et là j'en reviens à la plume de l'auteur, tout cela mis bout à bout m'a donné l'impression de plonger dans un monde cotonneux et presque onirique. Un peu comme certains films de Wes Anderson. Je suis parfaitement entré dans l'imaginaire d'Irwing et dans la réalité de Garp. Je me suis attaché à tout le monde et, comme eux, j'ai parfois été cueilli à froid par la violence de certaines scènes. Pas des scènes fictives, mais bel et bien des scènes de la vie de tous les jours. C'est donc un livre qui m'a transporté et qui m'a fait passer par beaucoup d'émotions. Il y a certes parfois quelques longueurs mais pour tout ce qu'il m'a apporté, je lui pardonne.
Ah oui, un petit conseil si vous lisez le livre :
NE LISEZ PAS LA PREFACE !
Ni celle de l'auteur, ni celle du traducteur ! Elles SPOILENT énormément !
Par contre, lisez-les à la fin. Vous aurez ainsi la réponse à la question que tous les lecteurs doivent se poser : Est-ce autobiographique ?