Ne vous fiez pas au titre trompeur que je trouve par ailleurs assez maladroit ! Ce livre n'est pas un énième pamphlet sur le Moyen-Age mais bel et bien un ouvrage qui tente de réhabiliter ce que fut réellement ces dix siècles de notre histoire. Si toi aussi tu en as plein le cul d'entendre tout un tas d'horreurs sur le monde médiéval à longueur de journée, ou de conversation pseudo-scientifique dans les bars du quartier Saint-Paul à Paris, alors ce livre est définitivement fait pour toi l'ami.
Écrit par Jacques Heers (1924 - 2013), historien français, spécialiste de l'histoire du Moyen-Age et professeur honoraire à la Sorbonne IV, Le Moyen-Age une imposture démontre brillamment le processus qui a conduit à la mise en place de cette immense désinformation sur une période pas si noire qu'on ne le pense. Pour ce faire, l'auteur nous explique dans un premier temps que la frontière Moyen-Age (période dépréciée) et Renaissance (période très appréciée) est complètement fictive est perméable. Que les soi-disant "avancées" et découvertes intellectuelles, technologiques apparues soudainement à la Renaissance seraient la preuve que le Moyen-Age fut une période d'obscurantisme religieux. Faux ! Vous apprendrez que la plupart des acquis que l'on attribue à la Renaissance (artistiques, littéraires, découvertes...) furent en grande partie le fruit de recherches et de travaux datant du Moyen-Age. Par exemple, les humanistes tels que Pétrarque ou Boccace constamment scandés en histoire de l'art comme les incarnations indiscutables des temps bénis de la Renaissance n'étaient, en réalité, que des "oracles du bon goût autoproclamés" à la solde d'un Prince pour lequel ils travaillaient pour plaire et pour gagner du pognon en restant à sa cour. De fait, leurs interprétations sur les artistes de la Renaissance tout comme leurs appréciations négatives sur l'art du Moyen-Age n'engageaient que eux-mêmes et ne reflétaient en aucun cas ce que l'on pensait à l'époque alors qu'aujourd'hui ces textes sont pris sciemment au pied de la lettre. Il n'est pas rare d'entendre dire : l'art médiéval est "mal fait", ou "pas réaliste" et "plat". L'auteur revient ensuite sur la genèse du mythe de la Renaissance, les jugements de valeurs portés sur le Moyen-Age vis-à-vis de la Renaissance et sur toutes les idées reçues comme par exemple dans la partie très explicite intitulée : "Le Moyen-Age : l'oubli de l'Antiquité ?".
Dans le second chapitre, Jacques Heers aborde un sujet difficile et qui a la vie dure encore aujourd'hui : la féodalité et les droits du seigneur. Sujet délicat mais également complexe qui demande pas mal de prérequis pour en comprendre toutes les subtilités. En effet, l'auteur est un universitaire, un savant très érudit qui ne vulgarise pas toujours malgré l'intention première du livre. Le plus important à retenir de ce chapitre est que l'histoire médiévale et les a priori qu'on en a ce sont forgés au XIXe siècle par les premiers historiens, médiévistes ou non, très engagés politiquement et idéologiquement pour la république. De fait, toutes les saloperies qu'on entend sur les pleins pouvoirs du seigneur, sur la cruauté et les sévices qu'ils faisaient subir au "peuple" (vaste mot qui veut tout et rien dire) proviennent d'une intense propagande anticléricale et antimonarchiste datant du milieu du XIXe siècle (mais prenant ces racines avec les Lumières) et non d'un travail scientifique et objectif dans le but d'informer le public. Évidemment, tout cela servi par une pléthore d'arguments et par de nombreuses notes ou renvois à des ouvrages que l'on retrouve dans la bibliographie récente (1998) utilisée par Heers.
Dans le troisième chapitre, on attaque LE sujet. THE plat de résistance, avec les âneries INTARISSABLES sur les paysans et leur supposé malheur qui a tout de même duré mille ans selon la légende noire. Oui, parce qu'il valait mieux être un paysan pendant l'Antiquité ou à la Renaissance, c'était dix fois mieux... Mais entre les deux, ça craint du cul ! Alors là, on sent que l'universitaire se lâche ! Il déboulonne toutes les idées reçues sur les conditions de vie, le rapport qu'entretenaient les paysans avec les seigneurs, les clercs et surtout, avec la ville ! Dans l'histoire version Jules Michelet, tout fonctionne par antagonisme: Ville VS Village, Paysans VS Seigneur, Paysans VS Bourgeois VS Nobles etc. C'est ridicule, le monde médiévale ne fonctionnait pas par opposition systématique. C'est un monde comme le notre avec ces communautés plus ou moins perméables et surtout avec toujours une possibilité d'ascension comme de déchéance. Le paysan n'était pas attaché à la glèbe comme un chien jusqu'à sa mort, il avait des droits, il jouissait d'une certaine liberté, il pouvait vendre, sous-louer ses terres, embaucher des paysans qui travaillaient pour lui, revendre une partie du bénéfice sur le marché du village ou à la ville, emprunter de l'argent, faire fructifier son capital etc. Bref... Oui, les conditions étaient rudes. Mais comme partout et de tout temps ! Regardez les paysans d'aujourd'hui dans une "belle démocratie" (sentez le cynisme ultime dans ces guillemets) comme la notre, dans le pays de ces putains de Droit de l'Homme : sont-ils plus heureux ? Je vous rappelle que selon les statistiques les agriculteurs français aujourd'hui ont deux à trois fois plus de risques d'être suicidaires que les cadres. Alors lâchez la grappe au Moyen-Age, arrêtez de vous branler sur les soi-disant impôts qui assommaient les paysans. Tout cela n'est que légende amorcée par la Révolution de 1789 puis par les historiens du XIXe siècle et savamment entretenu au début du XXe siècle par la IIIe République.
Enfin, dans le dernier chapitre Jacques Heers brandit son bouclier dans le ciel putride de la connerie pour défendre le clergé et son obscurantisme supposé. Obscurantisme qu'il aurait consciemment entretenu pour maintenir les populations dans l'ignorance et blablabla... Évidemment. Je ne vous fais pas un dessin vous avez compris où l'auteur veut en venir. Je n'ai qu'un conseil : achetez l'ouvrage, lisez et apprenez.
Pour conclure, je dirai sans sourciller qu'il est vital à un moment donné lorsqu'on s'intéresse à son passé d'avoir les outils adéquates pour apprécier justement l'histoire, son histoire. Le Moyen-Age une imposture fait partie de ce genre d'outils que tout le monde devrait avoir dans sa bibliothèque ne serait-ce que pour avoir l'air intelligent et arrêter de parler de chose lorsqu'on n'y connait rien. Si j'ai mis seulement 7, c'est pour une raison bien précise. L'ouvrage est complexe et nécessite parfois de bonnes connaissances sur le sujet. Mais cela n'est pas NON PLUS indispensable. Il faut simplement lire lentement et ne pas avoir peur de claquer une page google ou d'ouvrir un dictionnaire de temps en temps pour progresser correctement. Certains passages ne sont pas très clairs et l'argumentaire peut, dès fois, laisser à désirer (notamment le passage sur le massacre des Albigeois où j'ai largement préféré lire Jean Sévilla sur ce même sujet).
Tout cela n'est que point de détail, ce livre est génial !