Il n'est pas évident de dresser des constats, de donner son opinion, sans se montrer donneur de leçons, partial, sans être brouillon ou trop superficiel. Amin Maalouf brille particulièrement dans cet exercice avec Le naufrage des civilisations, un essai dans lequel l'auteur nous livre sa vision de cette catastrophe en cours, en remontant le temps, de la moitié du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui.
La structure principalement chronologique mais aussi thématique aborde les transformations, les conflits diplomatiques ou guerriers, les oppositions idéologiques, les évolutions d'une société et de civilisations qui s'influencent mais qui ont tendance à opérer un repli sur soi malsain et destructeur.
A travers les changements de l’Égypte et du Liban, la fondation de la république islamique en Iran, la guerre froide, le statut de gendarme du monde des États-Unis ou encore l'échec de l'Union Européenne, Amin Maalouf voit le déclin de nos civilisations, l'extinction d'une lumière qui brillait dans le progrès et le tissu du multiculturalisme mais qui a finit par s'amenuiser vers une noirceur qui se nourrit de la peur et de la régression.
L'auteur aborde souvent la question sous l'angle du journaliste, celui qui se gave de politique et d'actualité pour se forger une vision du monde, qu'il nous livre à la grâce d'une plume vraiment délicate, au style étoffé, fluide, au vocabulaire d'une richesse épatante et dont la précision force l'admiration. Il nous donne aussi parfois sa vision intime, se remet en question et ne dresse jamais son ego comme un bouclier de vaniteux. L'homme est mesuré, calme et lucide, comme sa prose.
Ce constat est déprimant, pessimiste même s'il espère toujours par instant que la lumière n'est pas complètement éteinte, mais l'on ressort un peu triste de la lecture ce naufrage qui porte bien son nom. L'épilogue traitant de la fin des libertés individuelles et comparant le futur à celui mis en page dans 1984 n'est pas original mais toujours aussi glaçant à chaque que l'on y pense ou que quelqu'un nous le rappelle.
Dans tous les cas il faut lire Le naufrage des civilisations, essai limpide autant dans son déroulé que dans son écriture, qui fait montre d'une intelligence et d'une qualité littéraire ahurissante.