Le Nazi et le Barbier par Megillah
Truc écrit y a longtemps, mais je recycle parce que je pense encore sensiblement la même chose, même si les lourdeurs stylistiques m'ont semblées moins tolérables cette fois-ci. Le fait de lire l'original a rien changé :
Max Schulz, génocidaire aryen dont l'arbre généalogique est 100% conforme, littéralement fils de pute, a des yeux de grenouille, un nez crochu, des lèvres charnues et des pieds plats. Max Schulz a une tête de caricature de juif, mais est un produit 100% aryen. Une invention, on le sait, mais faire incarner le préjugé juif par un aryen, c'est bien.
Enfin, voilà l'histoire : c'est un livre plutôt drôle. On ne s'apitoie pas : on se moque du juif, du nazi, du sioniste, de tout le monde. Au début, Hitler arrive comme un Christ au mont des Oliviers et la foule réagit comme une bande de fanatiques. Hitler et son discours sur le mont des Oliviers, à la fois sa christification et annonce de la fin, de la déchéance. Il tombe alors que rien n'est fait.
Pas de guerre, enfin pas vraiment. On passe de la montée à l'après-guerre et c'est très bien. On voit Max Schulz chier sur la neige de Pologne, sur la pureté, devenir un sous-homme (de mémoire «Y'a que les juifs pour chier comme ça»). On voit Max Schulz être torturé par une sorcière dans ce qui est évidemment une réécriture de Frau Holle des frères Grimm. L'or, la servitude, tout est là, l'humiliation en plus.
On rencontre aussi Madame Holle (elle fait aussi référence au conte, mais c'est à elle que Max Schulz raconte l'histoire. Elle est plutôt le côté allégorique du récit.), avec ses deux jambes, l'aryenne et la non-aryenne en bois. Bien évidemment, elle claudique. Madame Holle, c'est l'Allemagne détruite, vieille, sans dents. Madame Holle, c'est les ruines, les ruines ruinées par une amputation, celle des juifs, celle du front.
Aussi, Max Schulz devient juif et prend l'identité de Itzig Finkelstein, un juif aux traits aryens avec qui il jouait dans sa jeunesse. C'est facile pour lui : il a tout appris d'Itzig et de son père. Il connaît le culte, parle yiddish et maîtrise l'art de la coupe garçonne pour dame sans escalier (le père d'Itzig est coiffeur, Itzig et Max le deviendront). Lui manque qu'un petit coup de scalpel.
Après, on voit le favoritisme fait aux juifs, ce que Max Schulz trouve bizarre, incongru. Les juifs trouvent ça normal d'être presque déifiés, mais l'est-ce vraiment ? Hilsenrath dit que non. C'est le même système, mais à l'envers, un système tout aussi hypocrite dans lequel se meuvent des relents d'antisémitisme.
Puis, la Palestine, Israël, la culpabilité, l'impossibilité du rachat, encore la ségrégation (les fauteils numérotés), mais surtout, la lutte de Max Schulz-Itzig Finkelstein pour la fondation de l'État.
C'est l'histoire d'un opportuniste brutale, mais qui ne connaît pas le préjugé. Il s'y essaye un peu, dans un éclat, mais ça sonne faux. À chaque fois, on dirait qu'il suit quelqu'un, qu'il y va parce que c'est le chemin le plus facile et non pas parce qu'il croit à ce qu'il fait. Il est nazi, il porte l'uniforme, mais jamais il ne porte la haine. Ensuite, il soutient les juifs, leur État, se bat pour eux, il porte l'état naissant sur ses jambes frêles (comme Madame Holle, miroir), c'est indéniable. Mais il devient juif, vraiment ? Non, pas vraiment. Il oscille tout le temps entre son identité d'emprunt et la sienne propre. Il s'est aliéné pour survivre lâchement, le petit poisson, et il finit pas le regretter un peu, alors qu'aucune sentence peut expier ses remords. Enfin, il connaît la peur de ses victimes, c'est déjà ça. Ça rachète rien, mais il est à leur place un petit instant, après avoir quelque peu vécu leur isolement. La solitude, au fond, c'est peut-être ça, sa condamnation, même si ça suffit pas.
Bref, j'ai eu du plaisir en lisant Le Nazi et le Barbier. J'ai eu du plaisir malgré les répétitions, les "Je dis", les "Voilà l'histoire", les "Mon cher Itzig", etc. Des lourdeurs stylistiques, parfois, mais je crois que j'ai fini par m'habituer. À la fin, j'en avais rien à foutre qu'il y ait quatre "Je dis" par page parce qu'au fond, Schulz est un personnage de répétition. Il revit tout, tout le temps. Les scènes reviennent sous un autre angle et puis de toute façon, il renaît "littéralement". Il a deux vies. Un exode, une renaissance et deux vies (inextricables), donc il peut bien voicir-l'histoire et je-dire à tout bout de champ. C'est justifié. En puis il s'envole en poésie, parfois. C'est très bien. Et le soleil ricane, le ciel se moque, le vent parle. C'est très bien.
Mention spéciale pour les yeux de grenouille et la petite histoire du juidaïsme pour les nuls. J'aime bien les livres ancrés dans leur culture. Et puis les jeux de miroir.