Il est sans doute assez difficile d'entreprendre la lecture d'une oeuvre aussi radicale, inclassable et infiniment choquante. Le titre ne se cache pas, il est même clair comme de l'eau de roche. Oui vous saurez tout sur la misérable (?) vie d'un nécrophile parisien. Tout.
Un récit à la première personne, sans jugement, et ultra-détaillé jusque dans les pires recoins. Wittkop ne fera pas attendre son lecteur : dès les premières lignes, tout est net, précis, innommable, impensable. Antiquaire mystérieux, le nécrophile de l'histoire enlève des cadavres frais pour les ramener chez lui, les aiment, avant de les plonger dans la Seine lorsque le corps se décompose. Il n'a rien d'un sadique ou d'un psychopathe : il ne vit que pour un amour infini, déraisonnable et sans barrières (hommes, femmes, enfants, personnages âgés...) pour les morts.
Le sujet est aussi atroce que beau, et c'est sans doute là qui dérange le plus : il s'en va gratter le désespoir et la tendresse dans l'horreur, frôle l'intouchable. Wittkop ne fait preuve d'aucune concession mais trouve le moyen d'éviter toute complaisance gore : il est pourtant difficile de ne pas s'arrêter longuement avant de reprendre certains passages, réellement éprouvants. Wittkop c'est ça : une délicatesse qui dérange.
L'exercice pourrait paraître gratuit, mais Le nécrophile est incontestablement un chef d'oeuvre : un rythme ciselé, parfait, un récit évitant admirablement les redondances (flots de souvenirs se mêlant au présent, quelques rares interactions avec des vivants, des voyages...), une vraie richesse d'écriture (avant que Wittkop ne verse dans quelque chose de plus pompier...mais de tout aussi admirable), un héros pathétique, minutieux et fascinant, des tableaux effroyables et romantiques...
Insurpassé et sans doute insurpassable.